Italie, octobre 1922 : la Marche sur Rome, parodie de révolution et coup d’État26/10/20222022Journal/medias/journalarticle/images/2022/10/P10-1_Loffensive_ouvriere_de_1920_lusine_Pignone_de_Florence_occupee_C_ARC.jpg.420x236_q85_box-0%2C11%2C600%2C349_crop_detail.jpg

il y a 100 ans

Italie, octobre 1922 : la Marche sur Rome, parodie de révolution et coup d’État

Cet article est extrait du journal de nos camarades de L’Internazionale (Italie – UCI)

Illustration - la Marche sur Rome, parodie de révolution et coup d’État

À cent ans de distance, c’est paradoxalement l’antifascisme « officiel » qui avalise l’image que le fascisme se forgea en octobre 1922 avec la Marche sur Rome, une mise en scène que la machine propagandiste fasciste présenta comme une rupture révolutionnaire. Mais cette « révolution fasciste » n’a existé que dans les élucubrations de Mussolini et de ses innombrables serviteurs politiques et intellectuels.

Les reconstructions historiques qui circulent ces jours-ci dans les médias passent sous silence le contexte dans lequel s’inscrivit le fascisme : la réaction des classes dominantes contre le puissant courant révolutionnaire qui secoua le prolétariat de toute l’Europe. Dans ce contexte, le fascisme était une des réponses possibles pour la classe dominante. L’urgence était la même en Italie et dans les autres pays : empêcher les idées communistes de se diffuser et de conquérir la majorité des travailleurs. L’immense popularité de la révolution russe de 1917 augmentait le prestige de cette fraction du mouvement socialiste, minoritaire au début de la guerre, qui avait défendu, comme l’avait fait Lénine, les positions internationalistes et dénoncé le caractère impérialiste de la Première Guerre mondiale. Il fallait empêcher ces courants, qui allaient s’organiser en partis communistes, de gagner le cœur et l’esprit de la majorité des travailleurs. Sur cet objectif, tous les partis de la bourgeoisie étaient d’accord.

La Marche sur Rome couronnait deux années de violences des bandes fascistes contre les organisations ouvrières. Cette contre-révolution sociale était appuyée, organisée, financée par les classes possédantes, contre un mouvement ouvrier qui se faisait de plus en plus menaçant, au point de remettre en cause les bases mêmes de l’organisation capitaliste. Ce n’est pas un hasard si la défaite du mouvement d’occupation des usines, fin 1920, marqua le début de l’escalade des agressions fascistes.

Les institutions de l’État libéral furent largement complices de ces violences. On peut en dire autant des hiérarchies catholiques. L’historien anglais John Whittam, dans un livre paru en 1977 consacré à l’histoire de l’armée italienne, écrit : « Les succès du fascisme en 1921-1922 ne sont pas un phénomène mystérieux. Capitalistes et agrariens fournirent l’argent mais, comme le succès du fascisme dépendait essentiellement de la puissance de feu et de la mobilité, l’appui des autorités militaires fut d’une importance fondamentale. […] La contribution des autorités publiques – préfets, juges, police – consista en une neutralité bienveillante envers le fascisme […]. La décision de Giolitti d’inclure les fascistes dans son bloc national pour les élections de 1921, associée à l’appui tacite du Vatican à cette croisade antimarxiste, apportèrent à la violence fasciste une aura de respectabilité. »

On peut se faire une idée de la liberté d’action des fascistes en revenant en chiffres sur les exactions commises pour la seule année 1921 : 17 journaux et typographies, 59 maisons du peuple, 119 Bourses du travail, 107 coopératives, 83 Ligues paysannes, 8 sociétés mutuelles, 141 sections socialistes et communistes, 100 cercles culturels, 10 bibliothèques populaires et théâtres, une université populaire, 28 syndicats ouvriers, 53 cercles ouvriers récréatifs. Un total de 726 sièges détruits ! Et on compta plusieurs centaines de morts parmi les militants du mouvement ouvrier.

La défaite de la grève générale d’août 1922, appelée par les syndicats pour s’opposer aux violences fascistes, confirma à Mussolini et aux siens que plus rien ne s’opposait à l’instauration d’un gouvernement fasciste, qui bénéficiait de la protection des autorités.

La Marche sur Rome fut annoncée les jours précédents. La question se posait désormais ouvertement d’en finir avec les vieux dirigeants libéraux qui ralentissaient la transformation de l’État en un instrument plus adapté aux nécessités de l’heure de la classe dominante. On pouvait encore les utiliser comme des éléments de décoration agrémentant un nouveau gouvernement à direction fasciste. Le poids des industriels dans la farce révolutionnaire jouée par le parti fasciste est indiscutable. À la veille de la Marche, Mussolini rencontra à Milan le président du syndicat patronal Confindustria, Gino Olivetti, pour discuter de la physionomie du nouveau gouvernement.

Le gouvernement de Luigi Facta, qui avait déjà annoncé sa démission, proclama l’état de siège dans la capitale. Le matin du 28 octobre, la rumeur se répandit que l’armée se préparait à prendre le contrôle de Rome pour la défendre de l’attaque fasciste. Mussolini, en sécurité à Milan, à deux pas de la frontière suisse, hésitait sur la conduite à suivre, mais le roi le tira d’embarras en refusant de signer l’état de siège.

Alors que les fascistes paradaient dans la capitale, Mussolini arriva en train à Rome le 30 octobre et reçut du roi Victor-Emmanuel III la charge de former le nouveau gouvernement. L’armée, en état d’alerte les jours précédents, forte de 280 000 hommes et d’une artillerie lourde, ne tira pas un coup de feu. Voilà ce que fut la « révolution » des fascistes. Pendant ce temps, dans les autres villes italiennes, les groupes armés fascistes prenaient définitivement possession des administrations locales avec l’accord des préfets.

Le nouveau gouvernement ne fut pas exclusivement fasciste. Des dirigeants libéraux et du Parti populaire y furent appelés et les Assemblées votèrent à une très grande majorité en faveur du gouvernement Mussolini : 429 oui, 116 non et 7 abstentions à la Chambre des députés. Tous les partis de la bourgeoisie, y compris le Parti populaire catholique, durent convenir que pour défendre le système capitaliste du « péril rouge », les méthodes fascistes étaient les meilleures. Et si certains d’entre eux espéraient pouvoir se défaire de cette alliance avec le fascisme, une fois le sort des socialistes et surtout des communistes réglé, il en alla tout autrement.

Malgré la répression, quelques espaces légaux demeurèrent ouverts aux organisations ouvrières, au moins jusqu’en 1924, année de l’assassinat du député socialiste Matteotti par des fascistes. L’émotion suscitée par ce énième crime ouvrit une grave crise politique au sein même du parti fasciste. Mais pas plus qu’auparavant, les directions socialiste et syndicales ne voulurent prendre la direction d’une lutte décidée. Les préjugés « démocratiques », le respect d’institutions pourtant ouvertement complices des assassins fascistes, contribuèrent largement à désorienter et désarmer la classe ouvrière. Quant au jeune Parti communiste, il n’avait ni la force ni l’influence pour changer significativement le rapport de force.

Une fois surmontée la crise Matteotti, le gouvernement accéléra son évolution vers la forme dictatoriale avec les « lois fascistissimes » prises entre 1925 et 1926. En même temps, Mussolini abandonna les slogans « révolutionnaires » et les revendications républicaines, anticléricales et « prolétariennes », avec lesquelles il avait cherché à tromper les couches populaires les premières années du mouvement fasciste. Les dirigeants de la grande bourgeoisie, qui avaient autrefois soutenu avec conviction les institutions démocratiques, siégeaient désormais au Grand conseil du fascisme, au Sénat et dans les différentes corporations et, pendant plus de vingt ans, le régime fasciste fut le plus fidèle et zélé serviteur de la grande bourgeoisie italienne.

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