Dans le monde

Grande-Bretagne : Liz Truss, apprentie sorcière du capital

La présentation par la nouvelle Première ministre britannique d’un budget prévoyant des dépenses et des baisses d’impôts massives, sans recettes précises en face, a provoqué une panique boursière qui l’a obligée à une volte-face peu glorieuse.

Après dix jours de deuil royal et de stand-by obligé, Truss était pressée d’annoncer son arsenal de mesures en vue d’« inverser le cercle vicieux de la stagnation ». Le dévoilement de ce « mini-budget » par son ministre des Finances, Kwasi Kwarteng, a eu un maxi-effet, mais pas celui espéré : pendant quelques jours, toute l’économie britannique a semblé au bord du précipice.

Kwarteng, lui-même ancien de la banque JP Morgan, n’imaginait pas inquiéter les marchés, autrement dit les propriétaires de capitaux, en déroulant, le 23 septembre, sa liste de cadeaux aux patrons : création de 38 zones d’investissements défiscalisées, baisse de la taxe sur les transactions immobilières, maintien de l’impôt sur les sociétés à 19 %, annulation du plafonnement des bonus des banquiers... Une mesure présentée comme bénéficiant à tous était le gel des cotisations sociales au lieu de l’augmentation prévue de 1,25 %. Elle fera certes économiser des dizaines de livres par an aux salariés modestes, mais surtout des milliers de livres à leurs employeurs – tout en privant de 15 milliards les systèmes de santé et de protection sociale. Mais le nec plus ultra était la suppression de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu. Cette mesure aurait fait gagner près de 50 000 livres par an à un PDG empochant annuellement un million de livres. Au total, ces mesures devaient constituer la plus importante réduction d’impôts en un demi-siècle.

Kwarteng annonçait aussi un soutien aux factures énergétiques des entreprises et des particuliers, proche du « bouclier tarifaire » appliqué en France. Il s’agissait de plafonner les factures à 2 500 livres (2 800 euros) par an pour un foyer moyen. L’État se chargeant de payer le manque à gagner aux trusts de l’énergie, le prétendu bouclier implique de déverser de l’argent public dans les poches des racketteurs British Gas, Shell, EDF, etc., pour un coût estimé à 120 milliards de livres sur un an. Truss espérait ainsi calmer un peu la grogne sociale, complaire aux petits et moyens bourgeois qui forment la base de son parti, et satisfaire les appétits des plus riches. L’objectif affiché était de réduire l’inflation et de relancer la croissance. Confiant, Kwarteng a bu, le soir même, le champagne avec des patrons de fonds spéculatifs.

Mais en repoussant à fin novembre les précisions sur le financement de son budget, le ministre a suscité l’inquiétude des capitalistes concernant la solvabilité de l’État britannique et la solidité de l’économie du pays. La Réserve fédérale des États-Unis, le FMI, les agences de notation Moody’s et Standard & Poor’s ont tapé sur les doigts de Truss à la manière dont ils tancent d’habitude les gouvernants des pays pauvres.

Dès le 26 septembre, la livre a chuté à son plus bas niveau historique, à 1,035 dollar, alors qu’elle valait encore deux dollars en 2008. Un banquier a confié au Financial Times qu’il a cru vivre « un moment ­Lehman Brothers ». Pour éviter le crash, la Banque d’Angleterre a racheté pour 65 milliards d’obligations d’État. Pour rassurer les grands spéculateurs, elle s’est aussi engagée à faire remonter les taux d’intérêts, de 2,25 % à 4,5 %. Truss a dû rétablir la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu. Elle laisse entendre que le bouclier tarifaire, pour être moins coûteux, sera mieux ciblé, et elle a promis d’avancer à fin octobre la présentation d’un plan plus crédible de rentrées d’argent et d’économies, qui intégrera bien sûr de nouvelles coupes dans les services publics.

La démagogue « thatchérienne » a donc été rappelée à l’ordre par la bourgeoisie. Ses promesses de maximiser les opportunités découlant du Brexit font plouf. La ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, vient de déclarer en souriant que son « rêve » et même son « obsession » étaient de voir « un avion décollant pour le Rwanda », où le gouvernement voudrait déporter les réfugiés arrivant sur les côtes anglaises. Mais il n’est pas sûr que cette démagogie d’extrême droite fasse recette. Pour l’heure, le Parti travailliste semble tirer son épingle du jeu, avec 38 points d’avance dans les sondages. Il profite des déboires de Truss pour se présenter comme un parti responsable.

Mais les convulsions boursières récentes démontrent surtout que le capitalisme en crise est un château de cartes pouvant s’effondrer à chaque instant, quitte à engloutir l’économie britannique, et pas seulement elle.

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