Guerre en Ukraine : la fuite en avant de Poutine21/09/20222022Journal/medias/journalnumero/images/2022/09/2825.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Guerre en Ukraine : la fuite en avant de Poutine

Le Kremlin vient d’annoncer plusieurs mesures directement liées à la guerre en Ukraine et à son intensification : une mobilisation dite partielle concernant 300 000 réservistes et la tenue de référendums sur le rattachement à la Russie de quatre régions ukrainiennes.

Après une série de revers militaires et la perte de territoires en Ukraine, Poutine a besoin de renforcer son armée. Mais il lui faut aussi regagner du terrain : sur le front, dans l’opinion publique et auprès des cercles dirigeants russes, le « parti de la guerre » et les milieux ultra-nationalistes. En effet, ces jours-ci des critiques s’y sont exprimées sur la façon dont les généraux mènent les opérations militaires, ce qui, à travers eux, pouvait viser leur chef, Poutine.

Des gains de territoire à tout prix

Le Kremlin ne semble pas craindre le résultat de ces référendums. Les républiques sécessionnistes de Lougansk et de Donetsk, à l’extrême est dans le Donbass, ont une population largement prorusse et, depuis 2014, une administration et des forces armées que Moscou encadre. Quant aux deux autres régions, celles de Kherson au sud-ouest et de Zaporijia au sud, elles ont une population majoritairement russophone, placée depuis des mois sous administration prorusse et sous le contrôle des troupes du Kremlin.

Dans les faits, leur rattachement à la Russie ne changera pas grand-chose sous l’angle militaire, ni du point de vue de la vie de populations soumises depuis des mois, voire des années, aux horreurs de la guerre.

C’est pour le pouvoir russe que cela change la donne. Rattachées à la Russie, ces régions auront plus de valeur dans d’éventuelles tractations à venir avec Kiev et Washington autour du sort et du statut de l’Ukraine.

Dans l’immédiat, ce probable agrandissement du territoire de la Russie viendrait à point nommé pour conforter Poutine dans son rôle de chef de guerre engrangeant les victoires sur les ennemis de la Sainte Russie. Car c’est cette image nationaliste, ternie par l’échec de son offensive éclair sur Kiev et les reculs de son armée, qui lui a permis de disposer d’un certain consensus dans l’opinion et ainsi d’asseoir le pouvoir qu’il incarne : celui de chef de la bureaucratie, cette caste parasitaire qui dirige la Russie autant qu’elle pille ses ressources et sa population.

Mais Poutine sait aussi que la popularité qu’il retire de cette posture et l’autorité que cela lui vaut auprès de la caste dirigeante ne sont pas gravées dans le marbre.

Des effets « collatéraux » de la guerre

Ainsi, un institut russe de sociologie renommé vient de publier une étude où il note que « près d’une personne sur cinq interrogées s’attend à des protestations » contre la guerre. En clair, malgré la censure, les arrestations et condamnations continues, la contestation n’a pas disparu. Et elle pourrait se nourrir de défaites militaires qui agissent comme des révélateurs des faiblesses et turpitudes du pouvoir russe.

Cette guerre, dans laquelle le Kremlin s’est enlisé lui-même, permet à l’impérialisme, surtout américain, d’épuiser le régime russe. Elle a aussi pour effet de remettre en cause le rôle de parrain de l’espace ex-soviétique que le pouvoir russe gardait plus ou moins jusque-là.

On vient d’en avoir une illustration dans le Caucase, puis en Asie centrale. L’Azerbaïdjan, appuyé par la Turquie qui aimerait remplacer la Russie comme puissance tutélaire de la région, a, malgré un accord de paix signé en 2020 sous l’égide de Moscou, attaqué l’Arménie, que la Russie protège, dans le Haut-Karabakh, une région contestée depuis plus de trente ans. Résultat : des centaines de morts, militaires et civils, de part et d’autre, et une trêve aussi précaire que les précédentes. Entre le Tadjikistan et le Kirghizstan, deux États parmi les plus pauvres de la planète, des affrontements militaires ont repris ces jours-ci, autour d’une enclave tadjike, faisant déjà une centaine de morts et plus de 100 000 réfugiés.

Le scénario dans les deux cas est similaire, l’éclatement de l’Union soviétique ayant élevé des barrières étatiques entre les peuples et en leur sein, avec des régimes semi-dictatoriaux qui se maintiennent au pouvoir en dressant régulièrement leur population contre ses voisins. Et cela avec une Russie de Poutine qui n’a même plus les moyens de prétendre jouer les arbitres entre des États censés être ses alliés et obligés.

Ce qui vient de se passer dans le Caucase et en Asie centrale souligne l’effet de contagion, d’embrasement même indirect, que la guerre en Ukraine peut avoir dans des contrées parfois fort éloignées de la zone des combats.

Toujours plus de chair à canon

La « mobilisation partielle » décrétée par Poutine marque un pas de plus dans l’escalade guerrière. Elle vise à remplacer les quelque 50 000 hommes que Moscou aurait perdus en Ukraine en quelques mois. Pendant des semaines, Poutine a répété qu’il refusait de recourir à la mobilisation générale. Il sait trop quel effet dévastateur cela aurait pour le régime, et pour son chef, auprès de familles populaires voyant qu’on leur enlève leur fils pour l’envoyer au front. Et cela avec un risque élevé qu’il s’y fasse tuer, du fait d’un manque criant d’équipements et d’encadrement, alors que les forces ukrainiennes disposent des armements les plus modernes et les plus efficaces que l’Occident leur fournit.

Même si le décret de Poutine ne veut pour l’heure enrôler « que » les réservistes, il a visiblement choisi d’activer la machine à fournir de la chair à canon à ses généraux. Ces dernières semaines, il avait quand même pris le soin de susciter des appels, amplement relayés, en faveur de la conscription. Ils venaient de responsables de partis – dont Ziouganov, le chef du KPRF, le parti dit communiste –, d’hommes d’affaires, de gouverneurs et du président-dictateur de la Tchétchénie, ces derniers s’engageant publiquement à envoyer des régiments de leur région à la rescousse du pays.

Pour le moment, Poutine tente d’apparaître comme celui qui refuse la conscription générale. En effet, il a tout lieu de craindre qu’elle dresse contre lui les familles des conscrits et qu’elle n’accélère un mouvement de fuite hors de Russie de jeunes, souvent diplômés, qui ne veulent pas aller à la mort. Certains ont pris les devants et constituent une part notable des 500 000 Russes, dont quelques oligarques et des hommes d’affaires, qui ont quitté le pays depuis le début de l’année.

Après avoir voulu une armée qui ne devait être constituée que de professionnels et d’engagés – souvent des sans-emploi venus de régions pauvres de Russie –, le Kremlin enrôle aujourd’hui des réservistes. Demain, à qui le tour ? Aux jeunes des dernières classes de l’équivalent des lycées et collèges ?

Le « tsar » Poutine, qui a fait sanctifier par l’Église russe le dernier empereur de la dynastie des Romanov, pourrait alors, en tout cas, il faut le souhaiter, apprendre à ses dépens, comme Nicolas II avec la révolution de 1917 née du premier conflit mondial, que la guerre peut se retourner contre les dirigeants et les nantis qui avaient intérêt à y jeter leur population.

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