1982 : le gouvernement de gauche bloque les salaires08/06/20222022Journal/medias/journalnumero/images/2022/06/2810.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 40 ans

1982 : le gouvernement de gauche bloque les salaires

Le 9 juin 1982, François Mitterrand déclarait qu’après un an à la présidence de la République il passait à la seconde phase de son mandat. Son Premier ministre, Pierre Mauroy, en donna la teneur quelques jours plus tard, en annonçant un blocage des salaires et des prix pour quatre mois.

Le président prenait ainsi une série de mesures qui allaient mettre fin dans la douleur aux illusions que les travailleurs avaient alors dans le Parti communiste et le Parti socialiste. Voilà qui donne une réponse à la question si souvent posée aujourd’hui : « Pourquoi un tel désaveu des partis de gauche dans la classe ouvrière ? »

Mitterrand avait été élu le 10 mai 1981. Après 23 ans de pouvoir ininterrompu de la droite, il portait les espoirs de bien des travailleurs. Le PCF avait été le principal artisan de cette popularité, affublant cet ancien ministre de la IVe République, bourreau des militants du FLN pendant la guerre d’Algérie, d’une auréole d’homme de gauche. Son accession au pouvoir n’était cependant pas le résultat d’une poussée à gauche de l’électorat, mais plutôt du désaveu d’une partie de l’électorat de droite envers Giscard d’Estaing. Mitterrand savait que, pour défendre les intérêts de la bourgeoisie, il ne pourrait éviter de s’en prendre aux travailleurs, et qu’il devrait le leur faire accepter. Pour cela, la présence au gouvernement de quatre ministres communistes, qui cautionnaient donc sa politique, était un atout.

Pendant la première année de son mandat, Mitterrand avait pris quelques mesures semblant donner satisfaction aux travailleurs : la cinquième semaine de congés payés et la réduction du temps de travail de 40 à 39 heures. Pour les salariés payés au smic, les 39 heures devaient effectivement être payées 40, mais pour les autres, liberté totale était laissée aux patrons, qui tentèrent de ne pas rémunérer la quarantième heure, en incluant les pauses dans le temps de travail. L’application concrète des 39 heures déclencha une vague de grèves, bien des travailleurs pensaient alors être en accord avec la volonté du gouvernement. Mais, un an après son élection, Mitterrand décida avoir assez donné le change.

Pierre Mauroy annonça le 13 juin 1982 le blocage des salaires et des prix pour quatre mois. Dans une période où le rythme d’inflation annuel était de 13 %, et où les salaires suivaient plus ou moins les prix au gré des négociations d’entreprise, cela signifiait d’emblée une importante perte de pouvoir d’achat pour les travailleurs. Les prix ne furent en effet jamais réellement bloqués, car leur prétendu blocage n’était qu’un alibi pour justifier celui des salaires. Aux termes mêmes de la loi, de nombreux prix n’étaient pas concernés : ceux des produits agroalimentaires tributaires des accords européens, fruits et légumes, céréales, ainsi que ceux des produits pétroliers, qui augmentèrent de 11 % en juillet. On vit fleurir dans les grandes surfaces les produits dits nouveaux, pour lesquels il n’y avait par définition aucun point de comparaison. Les services officiels eux-mêmes prévoyaient une hausse de 2,5 %. Il y eut aussi, à la veille du blocage, une valse des étiquettes, que le gouvernement ne chercha pas à stopper. En revanche les salaires furent réellement bloqués. La loi suspendait toute clause conventionnelle en matière de hausse de salaire jusqu’au 31 octobre. Les augmentations programmées dans les entreprises, en particulier celles qui étaient attendues pour le 1er juillet afin de réajuster les salaires sur l’inflation, étaient donc annulées. Même les compensations prévues au moment des négociations sur les 39 heures devenaient nulles et non avenues.

Les premières déclarations de Georges Marchais pouvaient laisser penser que le PCF allait s’opposer à ce plan de rigueur. « Ce plan est injuste », affirma-t-il d’abord. Mais ce n’était que des mots. Mauroy épargna aux députés communistes de voter la loi, en utilisant l’article 49.3 qui permet de faire adopter un texte sans vote si la confiance est accordée au gouvernement. Les députés communistes firent leur soumission, votant la confiance et acceptant donc le plan de rigueur. Comble d’hypocrisie, le représentant du PCF, André Lajoinie, déclara à l’Assemblée : « Les travailleurs ne doivent pas être la cible de la rigueur. La confiance que vous nous demandez, les députés communistes ne vous la marchandent pas pour mettre en application les engagements pris devant le pays et notamment pour lutter contre l’inflation et le chômage. » Comme s’il s’était agi de cela !

La direction de la CGT s’aligna, elle aussi, sur le gouvernement. Lors de son 41e congrès tenu au même moment, son dirigeant Henri Krasucki n’eut pas un mot pour dénoncer un plan que le Premier ministre socialiste, Pierre Mauroy, lui avait annoncé à l’avance. Face à cette attaque frontale contre le monde du travail, aucun plan de riposte général ne fut proposé. Krasucki déclara seulement : « Nous n’excluons aucune forme d’action. Aux travailleurs d’en décider, entreprise par entreprise », ce qui était une belle façon de dégager la responsabilité de la CGT. Il y eut quelques grèves, que celle-ci se garda bien d’impulser.

Le 1er novembre, le blocage prit officiellement fin. Les prix, qui n’avaient jamais été réellement bloqués, devinrent « encadrés ». Les loyers augmentèrent à nouveau, les transports d’Île-de-France également, ainsi que le prix des aliments et des vêtements. Quant aux salaires, le gouvernement exhorta les patrons à « ne pas les laisser déraper ». À la fin de l’année, leur blocage se traduisait par une importante perte de pouvoir d’achat pour le monde du travail. C’était aussi signifier aux travailleurs qu’ils ne verraient pas le gouvernement de gauche soutenir leurs revendications. Loin d’être de leur côté, il soutiendrait les intérêts du grand patronat comme l’avait fait la droite avant lui.

De fait, ce n’était qu’un début. Un nouveau plan d’austérité fut annoncé en mars 1983. Lorsque les travailleurs de l’automobile entrèrent en grève cette année-là, Mauroy dénonça « une grève des ayatollahs » et envoya les CRS déloger les grévistes de Talbot Poissy qui occupaient l’usine. En 1984, il annonça la suppression de 21 000 emplois dans la sidérurgie, alors qu’il avait affirmé qu’il n’y tolérerait aucun licenciement. Toutes ces mesures du gouvernement Mitterrand furent ressenties comme des trahisons, provoquant rancœur et écœurement parmi les travailleurs. Beaucoup désertèrent les syndicats. Au même moment, le Front national, qui n’était alors qu’un groupuscule, commença son ascension.

Au lendemain de l’annonce du blocage des salaires, notre camarade Arlette Laguiller écrivait dans l’éditorial des bulletins d’entreprise de Lutte ouvrière : « Ils avaient promis de faire payer les riches, ils font payer les pauvres. » Un tel scénario s’est reproduit depuis à chaque fois que la gauche est revenue au gouvernement, même si les sempiternels défenseurs d’une Union de la Gauche censée « changer la vie » voudraient bien le faire oublier.

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