Dans le monde

Soudan : la population ne plie pas

Les manifestations, accompagnées de construction de barricades, continuent dans les grandes villes du Soudan contre le pouvoir des militaires, pour la libération des prisonniers politiques et contre la hausse vertigineuse des prix qui plonge la population dans la détresse.

Le mercredi 6 avril marquait le troisième anniversaire du renversement de la dictature d’Omar Al-Bachir. Ce jour-là, des milliers de personnes sont descendues dans la rue à Khartoum, Port-Soudan et dans les principales villes du pays. Un manifestant de 19 ans a été tué par la police, tandis que les forces de répression investissaient un hôpital à Khartoum, y pourchassant les manifestants blessés et tirant des grenades lacrymogènes.

Après le renversement du dictateur Omar Al-Bachir il y a trois ans par les manifestations populaires, les chefs de l’armée avaient jugé préférable de donner le change, en faisant mine de partager le pouvoir avec les civils à la tête du soulèvement : les dirigeants de l’Association des professionnels soudanais et de l’Alliance pour la liberté et le changement. Ceux-ci avaient accepté de jouer le jeu, faisant croire à la population que leur présence au gouvernement garantissait une transition rapide vers des élections et un gouvernement entièrement civil. Mais le 25 octobre 2021 les militaires, qui ne s’étaient jamais dessaisis du pouvoir réel, ont jeté le masque, emprisonnant les dirigeants civils et réprimant sauvagement les mouvements de protestation.

La hausse vertigineuse des prix, qui affame les travailleurs et ruine toute une partie de la population, constitue un motif supplémentaire de révolte. Depuis le coup d’État du 25 octobre, le prix du pain a été multiplié par dix. Bien des familles pauvres le remplacent par des lentilles, et doivent renoncer au lait et au sucre, dont le prix a doublé. Il en va de même pour l’essence et l’électricité. Cette hausse des prix, encore plus forte que dans les autres pays africains, est aggravée par la politique des militaires, qui alimentent l’inflation en imprimant toujours plus de billets. L’arrêt de l’aide internationale contribue aussi à affamer la population. La situation est si dégradée que bien des travailleurs doivent vivre des mois sans être payés.

Incapables de venir à bout des manifestations, les chefs de l’armée cherchent aujourd’hui une issue du côté des membres de l’ancien parti d’Omar Al-Bachir, le Congrès national. Ils font sortir ses membres éminents des prisons où ils étaient enfermés pour les crimes commis sous la dictature et leur rendent leurs places dans les administrations. Les financiers qui avaient prospéré sous le régime du dictateur déchu récupèrent leurs biens confisqués par le Comité du démantèlement du régime d’Omar Al-Bachir, et ce sont les membres de ce comité qui ont été emprisonnés après le 25 octobre. Toute cette mouvance, à dominante islamiste et intégriste, se structure aujourd’hui en vue d’éventuelles élections où elle servirait de soutien aux militaires. Elle leur garantirait un gouvernement civil à leur botte, ce qui aurait l’avantage de satisfaire les bailleurs de fonds internationaux, FMI, banque mondiale et autres, tout en conservant à la junte le soutien qui ne s’est jamais démenti de l’Égypte, de l’Arabie saoudite ou des Émirats arabes unis.

C’est ainsi au rétablissement de la dictature chassée du pouvoir en avril 2019 que la junte travaille. Pour vaincre les militaires et empêcher un tel retour en arrière, les travailleurs, qui ont montré leur courage, auront besoin de se doter d’organisations se fixant comme seul objectif de défendre leurs intérêts et ceux de la population pauvre.

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