Dans le monde

Pérou : révolte contre l’envolée des prix

Confronté à une révolte populaire en riposte à l’inflation, le président du Pérou, Pedro Castillo, présenté comme de la gauche radicale, a choisi la répression, décrété l’état d’urgence dans plusieurs régions et déployé l’armée.

Le Pérou est la sixième économie de l’Amérique latine. Riche en ressources minières (cuivre, argent, or, étain, molybdène) ou en hydrocarbures (gaz, pétrole) et en productions agricoles, elle se place dans le premier tiers des économies de la planète (50e place selon la Banque mondiale). Mais le Pérou n’est que 92e pour le PIB par habitant. La grande majorité des 33 millions d’habitants ne voient jamais la couleur de ces richesses. En outre, avec plus de 200 000 décès, c’est le pays du monde qui a été le plus frappé par le Covid. C’est aussi là que la récession a été la plus forte dans la région. Le taux de pauvreté, ramené de 59 à 20 % ces quinze dernières années, est remonté à 30 % en 2021.

C’est dans ce contexte que, le 28 mars, les syndicats des chauffeurs de poids lourds et de bus ont appelé à la grève contre l’augmentation du prix de l’essence, installant des barrages routiers sur la route centrale qui part de la capitale Lima vers le centre andin du pays.

Ce qui aurait pu rester un mouvement limité d’une corporation a été l’étincelle qui a permis à la colère populaire d’exploser. Des péages ont été incendiés et la population pauvre s’est jointe aux transporteurs ou a organisé ses propres barrages. Des grèves ont éclaté. Des manifestations ont été réprimées par la police, faisant au moins six morts.

La forte hausse des prix, au moins 10 % dans plusieurs régions, concerne le prix des engrais, mobilisant les paysans pauvres qui ne peuvent plus en acheter. Tous les produits de première nécessité augmentent aussi. Le sucre a grimpé en une semaine de 2,5 à 6 soles (0,6 à 1,5 euro) et celui du poulet de 12 à 16 soles (3 à 4 euros) en deux jours.

Castillo a dénoncé des manifestants « malintentionnés » et même « achetés » pour entretenir le désordre. Il a instauré le 5 avril l’état d’urgence et le couvre-feu dans la capitale et le port de Callao. Loin d’intimider les manifestants, cela a élargi la colère populaire, qui a déferlé dans Lima : des magasins ont été pillés et des bâtiments officiels attaqués, dont la Cour suprême de justice.

Castillo a dû remballer ses propos injurieux, suspendre les taxes sur certains carburants et les produits de consommation courante et promettre une augmentation du salaire minimum de 930 à 1 025 soles (253 euros) en mai. Ces mesures restent cependant limitées car l’inflation s’aggrave et la majorité des travailleurs travaillent au noir, donc hors de toute législation du travail. Si l’état d’urgence a été levé dans la capitale, il était maintenu sur les principaux axes routiers. L’armée reste déployée, le droit de réunion suspendu et les arrestations arbitraires continuent.

En juillet 2021, la victoire de Castillo contre la droite dure représentée par Keito Fujimori, fille de l’ex-président-dictateur, avait soulevé l’enthousiasme des classes populaires. Avec le slogan « Plus de pauvres dans un pays riche », il avait obtenu dans des bureaux de vote populaires des scores dépassant 80 %.

Fils de paysans pauvres, devenu instituteur et syndicaliste, Castillo était apparu à la tête d’une grève nationale de l’Éducation en 2017. Une assemblée d’enseignants l’avait choisi pour les représenter pour l’élection présidentielle.

Le candidat avait promis notamment d’arracher les mines aux compagnies étrangères, de changer la Constitution de Fujimori et de moderniser l’éducation. Mais, dès le deuxième tour de la présidentielle, il renonçait à changer la Constitution et le changement n’est pas venu. Une fois élu, Castillo a été contrecarré par l’opposition déterminée des milieux patronaux et de la droite, un sport auquel le Parlement péruvien est aguerri. Composé de politiciens corrompus, il sait mettre la pression sur les présidents successifs, même très modérés, pour écarter ceux qui ne sont pas à son goût. Et, comme pour ses prédécesseurs, ces parlementaires ont mis en avant des affaires de corruption, insignifiantes, pour exiger la destitution de Castillo. L’arrivée d’un simple enseignant soutenu par des paysans pauvres a déclenché en outre une bronca de l’extrême droite raciste, forte au Congrès, qui voit en lui le « communiste » qu’il n’est pas.

Face à cela, Castillo s’est bien gardé de faire appel à la mobilisation populaire, et a tenté de se préserver en multipliant les concessions. Il n’a cessé de remanier son gouvernement pour tenter, sans succès, d’amadouer ses opposants, y faisant entrer des personnalités de plus en plus à droite, comme Ricardo Belmont, patron de télévision, xénophobe, homophobe, antivax et admirateur de Trump, devenu conseiller de la présidence.

Parmi les manifestants, nombreux sont les enseignants qui ont compris qu’aucune promesse éducative ne sera tenue. Et, avec l’envolée de l’inflation, de plus en plus de pauvres de ce « pays riche » réalisent qu’ils n’ont pas un allié à la tête de l’État mais un adversaire au service des capitalistes nationaux et de l’impérialisme, comme tous les présidents avant lui. L’élection n’a rien changé, mais la voie de la lutte est ouverte.

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