Russie : guerre, sanctions, répression…16/03/20222022Journal/medias/journalnumero/images/2022/03/2798.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

la guerre en ukraine

Russie : guerre, sanctions, répression…

Poutine vient de limoger deux généraux chargés de la sécurité intérieure à la FSB (l’ex-KGB), accusés de corruption. Cette accusation qui vaut pour n’importe quel homme du régime, tant la corruption lui est une seconde nature, dissimule bien mal le fait que, trois semaines après le début d’une guerre qu’il voulait éclair, le président russe a besoin de boucs émissaires.

Les sanctions pleuvent donc sur certaines têtes au sommet. D’autres sanctions, qui frappent cette fois la population, ne cessent de tomber, venant de l’Occident. Chaque jour ou presque en annonce de nouvelles. Officiellement, elles sont censées viser les hiérarques du régime, les proches du président, et les oligarques, ces magnats auxquels, en échange de leur loyauté, Poutine a permis et permet de s’enrichir sans limite par le pillage du pays et de sa population.

On ne sait pas si, comme certains dirigeants occidentaux le prétendent, ces sanctions pousseront à désolidariser du régime ceux qui sont ou apparaissent comme ses propres hommes d’affaires. Pour ceux d’entre eux qui n’avaient pas pris leurs précautions en quittant la Russie à temps, le fait de ne plus pouvoir dépenser des sommes folles dans des stations de ski huppées comme Courchevel, ou regagner leur villa de luxe près de Miami ou rejoindre leur yacht sur la Côte d’Azur n’a certainement pas de quoi faire pleurer dans les chaumières.

Mais, malheureusement, les sanctions occidentales frappent surtout, sinon exclusivement, les travailleurs et les petites gens de Russie. C’est le cas, par exemple, des 62 000 salariés que McDonald’s a jetés à la rue du jour au lendemain quand la firme a décidé de fermer tous ses magasins russes, en représailles, a-t-elle dit, contre l’invasion de l’Ukraine. Ikea comme McDonald’s sauront, n’en doutons pas, se faire indemniser par les gouvernements. Mais leurs salariés russes ? Il se dit qu’ils seront indemnisés par leur ancien employeur. Mais quand, comment le seront-ils et sur quelle base ? De toute façon, cela ne pourrait se faire qu’en fonction de leur salaire déclaré, qui est bien moindre que leur salaire réel, déjà pas bien grand.

Cela vaut pour des centaines de milliers d’autres travailleurs de grands groupes occidentaux qui ont fermé, ou ceux de certaines de leurs filiales, qui elles aussi ont licencié : dans l’automobile, la grande distribution, les services, etc.

Cela atteint des proportions telles que le Kremlin évoque maintenant la possibilité de nationaliser les entreprises de 59 des 350 grands groupes concernés pour les remettre en route. Mais ce qu’on voit déjà, c’est qu’une partie importante de la classe ouvrière russe est frappée par ces sanctions.

Le 1er mars, le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, avait déclaré qu’avec ses sanctions l’Europe allait « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie » et que « le peuple russe en paiera aussi les conséquences » ; il avait prétendu, quelques heures plus tard, qu’on l’avait mal compris. Mais pas du tout, ce grand commis de la bourgeoisie française a juste souligné que, même quand les États bourgeois prétendent viser les dirigeants et les nantis d’un autre pays, la Russie en l’occurrence, ils n’hésitent pas un instant à frapper les travailleurs qui sont en réalité les premières victimes.

Ils le sont à plus d’un titre. Ils le sont au travail, puis quand ils font leurs courses, avec le fort renchérissement des produits importés, les pénuries qui s’installent – beaucoup de magasins, d’alimentation interdisent les achats en grosse quantité. Ils le sont aussi comme parents de jeunes adultes. Car si, au début, Poutine prétendait que l’armée n’envoyait que des professionnels et des volontaires en Ukraine, il a dû reconnaître – sans doute avec l’arrivée des premiers cercueils de soldats tués au combat – qu’il y avait parmi eux des conscrits. En ce domaine, les petits bourgeois de Moscou et de Saint-Pétersbourg avaient souvent pris les devants en envoyant leurs fils en âge d’être appelés se cacher à l’étranger, via la Turquie ou la Finlande. Mais, là encore, les familles populaires de province, et même des grandes villes, n’en ont généralement pas eu l’occasion, ni surtout les moyens. Si cette guerre dure, elles vont probablement payer un lourd tribut de sang au régime russe, à la haine qu’il aura semée parmi la population « d’en face », et parmi les soldats ou membres de la défense territoriale qui en sont issus.

De façon logique, en même temps qu’il écrase sous ses bombes la population ukrainienne, le pouvoir durcit sa répression, en Russie même, contre tous ceux qui ne s’alignent pas derrière lui au garde-à-vous. Les manifestations se font plus rares car la police les bloque systématiquement de façon préventive et brutale. Mais les tribunaux tournent à plein régime pour condamner à des peines de plus en plus lourdes ceux qui ont été arrêtés pour avoir manifesté ou pour avoir distribué des tracts contre la guerre, contre ses responsables. Dans certains cas, ils sont jugés après avoir été dénoncés – produit pourri de l’atmosphère belliciste et policière attisée d’en haut – parce qu’ils proclament que les travailleurs russes et ukrainiens ne sont pas ennemis, et qu’ils ont les mêmes intérêts fondamentaux.

Ceux qui tiennent ce langage de classe et internationaliste sont certes trop peu nombreux. C’est pourtant sur ces idées-là que repose le seul espoir que cette guerre ne débouche pas sur une barbarie encore pire pour toute cette région et les peuples qui y vivent.

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