Dans les entreprises

Nos lecteurs écrivent La misère sur les routes

Je suis conducteur routier à l’international, principalement pour l’agroalimentaire. Je traverse l’Europe, d’un quai de déchargement à l’autre, où je rencontre des travailleurs de nombreuses nationalités : des ouvriers européens, immigrés dans les usines d’agroalimentaire à Lamballe en Bretagne, en Italie ou en Angleterre qui ont des boulots bien pénibles, et aussi mes collègues chauffeurs venus de toute l’Europe et de plus loin.

Depuis quelques années, les grosses et moyennes compagnies de transport « injectent », comme le disent les DRH, des dizaines de milliers de chauffeurs venant d’Europe de l’Est, pourvu que les salaires soient bas : lituaniens, ukrainiens, roumains, etc. Beaucoup partent deux à trois mois de chez eux pour un salaire ne dépassant pas 1 000 euros, créant ainsi une concurrence entre chauffeurs de l’Ouest européen et ceux qui viennent de plus loin.

Les transporteurs en profitent pour faire baisser les prix. Les salaires diminuent, les cadences augmentent. On peut commencer une journée à 6 heures du matin, finir à 10 heures, et repartir à 19 heures pour rouler jusqu’à 8 heures le lendemain matin. Nous obéissons à des ordres de gens dans des bureaux, eux-mêmes sous la pression des grands groupes, qui n’ont pour référence géographique que leur logiciel avec des délais de transport qui ne correspondent pas à la réalité de la route. La précipitation qui en découle n’apporte que du stress, des repas qu’on saute, ou qu’on fait en roulant et parfois des accidents dramatiques de collègues, et même amis, qui meurent écrasés dans leur cabine.

On termine les journées fatigués, sur des parkings insalubres, sans sanitaire, ou avec une douche pour 50 chauffeurs, sans différenciation des femmes et des hommes. On ne lit plus, on écoute les radios et leur infos qui nous répètent sans cesse que les salaires ne peuvent pas augmenter, qu’il faut travailler plus, que c’est la faute des migrants, etc.

Et puis, c’est la misère que l’on voit partout : la dame qui met ses petits rideaux, à 7 heures du matin, à son auto en sortant de son travail – tout aussi éreintant - d’une fabrique de bacon à Birmingham, parce qu’elle dort dans sa voiture ; les migrants comme des spectres dans la nuit, dans les fourrés, qui attendent une opportunité à Calais ; cet Allemand qui vient lui aussi dormir dans sa voiture entre les camions, invisible ; ou encore cette serveuse de 70 ans de l’autre côté de l’Atlantique, payée deux dollars de l’heure, qui vous sert un café à 2 heures du matin dans un truckstop appartenant à un groupe pétrolier de Tulsa en Oklahoma. Parce que c’est mondial. (…)

Nathalie Arthaud a raison quand elle dit qu’il faut sortir de cette ornière dans laquelle on nous a fait glisser, qui voudrait nous faire accepter les bas salaires et le travail abrutissant. Il faut réagir, c’est urgent, sans se laisser diviser entre travailleurs français et étrangers.

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