Dans le monde

Algérie : trois ans après le déclenchement du Hirak

Le 22 février 2019, la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat déclenchait le Hirak, le plus grand mouvement de contestation populaire depuis l’indépendance. Trois ans après, l’espoir d’un changement a débouché sur une profonde désillusion.

Le système politique corrompu que les classes populaires aspiraient à dégager est toujours là. Quelques anciens gros bonnets du clan Bouteflika sont en prison, mais d’autres ont pris la place. Pour mettre un terme à la crise politique ouverte par le Hirak, le président Tebboune, et derrière lui l’armée, accentuent la répression pour étouffer toute contestation. Les droits démocratiques, la liberté d’expression, de réunion, d’association sont piétinés.

Au 9 février, plus de 340 personnes étaient emprisonnées pour leurs opinions, des hirakistes, des journalistes, des blogueurs, des militants ou de simples travailleurs. Depuis, une quarantaine d’autres ont été arrêtées. Elles sont accusées « d’incitation à attroupement non armé », de « diffusion d’informations mensongères sur les réseaux sociaux » ou encore d’ « atteinte à l’unité nationale ». Deux organisations, le MAK (Mouvement autonomiste kabyle) et le parti islamiste Rachad, ont été qualifiés de terroristes. La répression frappe aussi les organisations de gauche, comme le MDS, dont le dirigeant, Fethi Gares, a été condamné à deux ans de prison pour s’être exprimé contre la répression, ou le PST (Parti socialiste des travailleurs) dont les activités viennent d’être suspendues.

La répression s’abat aussi sur les travailleurs. Une loi récente criminalise les protestations de rue, les blocages de route, les occupations de mairies, qui sont des moyens d’action couramment utilisés par les chômeurs, les demandeurs de logement, d’accès au gaz… Désormais, ils encourent jusqu’à vingt ans de prison. Et, pour avoir des syndicats encore plus dociles, le gouvernement entend promulguer une loi qui interdit la présence de militants politiques dans les syndicats.

Le gouvernement cherche ainsi à réinstaller le climat de peur qui prévalait avant le déclenchement du Hirak. Cependant, tout en affichant son autoritarisme, le régime craint que le mécontentement social ravive la contestation. Aussi, tout en resserrant l’étau sur le plan des libertés, Tebboune prétend agir contre la misère qui s’étend. La promesse d’augmenter en juin les salaires des employés de l’État a été avancée à mars. Avec la suppression d’un impôt, l’IRG, deux à cinq mille dinars (dix à trente euros) sont allés dans la poche des travailleurs. Somme attendue, mais qui s’est révélée dérisoire au regard de l’inflation. En effet, avec la chute du dinar et la hausse des prix, le pouvoir d’achat s’est effondré, le prix de certains produits de base a été multiplié par deux ou trois. À cela s’ajoutent des pénuries. Celles sur la pomme de terre, l’huile ou le lait en poudre compliquent la vie des familles. Le gouvernement accuse les spéculateurs, mais son choix de favoriser l’exportation de ces produits alimentaires joue un rôle dans ces pénuries qui exaspèrent la population.

À l’automne dernier, pour répondre aux exigences du FMI et de la bourgeoisie algérienne, Tebboune avait acté, dans la loi de finances 2022, la fin des subventions sur les produits de base mises en place après l’indépendance du pays. Pour l’instant, il semble temporiser. Ainsi, pour faire baisser les prix de la semoule et des pâtes, il a supprimé des taxes sur les céréales.

Et puis, Tebboune vient d’annoncer fièrement que l’Algérie est le premier État africain à mettre en place une allocation pour les chômeurs. Elle sera de 13 000 dinars (65 euros). Cela a provoqué une ruée devant les agences de l’emploi. Des centaines de milliers de travailleurs non déclarés, qui ont perdu leur emploi, se demandent s’ils pourront toucher cette allocation.

Cette annonce intervient alors que 40 % des jeunes sont au chômage. Officiellement, un million de travailleurs ont perdu leur emploi depuis le début de la pandémie. Faute de clients, de nombreux commerces et restaurants ont dû baisser le rideau. Le secteur de la construction n’a pas redémarré. Quant aux usines liées au secteur de l’assemblage automobile, elles ont toutes fermé. En vue de leur privatisation, de nombreuses entreprises publiques de production sont à l’abandon, des milliers de travailleurs qui ne perçoivent plus leur paie depuis des mois se battent, le dos au mur.

Toutes les mesures du gouvernement n’empêcheront pas les classes populaires de s’enfoncer dans la misère, et la colère que Tebboune veut museler et contenir finira par exploser.

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