Irlande : janvier 1922, l’indépendance arrachée29/12/20212021Journal/medias/journalnumero/images/2021/12/2787.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 100 ans

Irlande : janvier 1922, l’indépendance arrachée

Il y a cent ans, le 6 décembre 1921, le gouvernement britannique accordait son indépendance à l’Irlande, qui allait prendre effet le 7 janvier 1922. Après des siècles d’occupation, de pillage des richesses du pays, de révoltes suivies de massacres, la plus ancienne des colonies du Royaume-Uni fut aussi la première à s’en être libérée, du moins partiellement, six comtés du nord-est restant en son sein.

Dès le 12e siècle, les Anglais prirent pied en Irlande, mais ce n’est qu’à partir du 16e siècle, sous le règne de Henry VIII et la Réforme protestante, qu’ils commencèrent à coloniser l’île. Comme toute colonisation, celle de l’Irlande s’accompagna de spoliations, de déportations et de massacres. Les paysans furent chassés de leurs terres au profit de nobles anglais qui, absentéistes pour la plupart, ne cherchaient pas à les valoriser et se contentaient de louer, cher, des lopins trop petits pour nourrir une famille.

Expulsés de leurs terres, privés de tous droits et poussés vers la misère, les Irlandais ne pouvaient manquer de se révolter, et furent à chaque fois sauvagement réprimés. Après leur défaite devant les armées de Cromwell en 1641, l’Irlande perdit plus de la moitié de sa population, en même temps que l’installation de colons anglais était favorisée. Les Irlandais ne pouvaient vendre leur production qu’à des marchands anglais, dont les profits, rapatriés en Angleterre, servirent à développer son industrialisation. Et lors de la Grande Famine de 1845-1851, alors qu’au moins un million d’Irlandais moururent de faim à cause de la maladie de la pomme de terre et qu’autant émigrèrent vers les États-Unis ou l’Angleterre, cette dernière continua à importer le blé d’Irlande.

Au 19e siècle, parallèlement à la montée des nationalismes en Europe contre les Empires centraux, la question de l’indépendance de l’Irlande vint à l’ordre du jour, en même temps que celle de l’instauration d’une république. Les plus modérés au sein de la bourgeoisie irlandaise réclamaient le Home Rule, soit une certaine autonomie pouvant leur offrir une petite place dans les rouages du pouvoir pour gérer les affaires internes de l’Irlande. Mais, pour l’ensemble de la population, il était évident que l’indépendance ne s’obtiendrait qu’en opposant la violence des masses à celle des oppresseurs. Des partis et milices furent créés, dont les Fenians de l’Irish Republican Brotherhood partisans de méthodes blanquistes, qui avaient le soutien des campagnes.

Du côté de la classe ouvrière, les grèves qui eurent lieu dans les entreprises, dirigées par Jim Larkin et le marxiste James Connolly, étaient elles aussi liées à la question nationale : les patrons, les policiers et les juges que les travailleurs affrontaient étant tous anglais. Mais le programme de Connolly ne s’arrêtait pas à la seule indépendance et se plaçait sur une base résolument socialiste et internationaliste. Lors de ces luttes fut fondée en 1913 une milice d’autodéfense ouvrière qu’il dirigea, la Citizen Army, saluée par Lénine comme la première armée communiste d’Europe. Mais à part, au sud, les villes de Dublin, Cork et Limerick, la plus grande partie de l’Irlande était restée agricole. Seule la partie nord-est du pays, peuplée dès le 16e siècle de colons presbytériens, avait connu un développement industriel, à Belfast notamment au travers de chantiers navals et d’industries textiles. La majorité de la classe ouvrière irlandaise ne se trouvait pas sur le territoire, mais à Londres ou à New-York !

Alors que la Grande-Bretagne était engagée dans le premier conflit mondial, les opposants à la colonisation déclenchèrent une insurrection à Dublin, le lundi de Pâques 24 avril. Elle fut écrasée et la répression fut féroce. Quinze dirigeants, dont James Connolly, furent exécutés, le mouvement ouvrier naissant fut décapité et plusieurs milliers de participants furent emprisonnés ou déportés dans des camps en Grande-Bretagne.

La population irlandaise, qui dans son ensemble, n’avait pas participé à l’insurrection de 1916, commença à se mobiliser contre l’occupant dans les années qui suivirent, les femmes entrant dans la lutte et reprenant le flambeau des hommes emprisonnés. Au début de 1918, le gouvernement anglais étendit la conscription obligatoire à l’Irlande, ce qu’il n’avait pas osé faire jusque-là, craignant d’armer des hommes qui pouvaient se retourner contre lui. La riposte ne tarda pas : manifestations immenses, grèves de la faim et affrontements avec la police britannique, le RIC (Royal Irish Constabulary), se succédèrent.

En 1919, l’IRA (Irish Republican Army), dirigée par Michael Collins, comptait 100 000 volontaires, dont 20 000 femmes. Commença alors une véritable guérilla contre la police britannique, à tel point que, fin 1920, 700 casernes du RIC avaient dû être évacuées. Les insurgés ayant le soutien de la population, il était difficile de distinguer les combattants des habitants. Winston Churchill, ministre de la Guerre, créa alors un corps spécial, les Black and Tans, recrutés parmi les anciens combattants de la Première Guerre mondiale, à qui tous les coups étaient permis : assassinats, y compris d’enfants, viols, tortures, incendies de maisons. Des rues entières furent ainsi incendiées pour les vider de leurs habitants, le centre de Cork subissant le même sort.

La violence aveugle ne suffit cependant pas pour faire plier les insurgés et le gouvernement britannique dut finir par accorder l’indépendance à la plus grande partie de l’Irlande, les six comtés industrialisés du nord-est restant, eux, au sein du Royaume-Uni.

Après huit siècles de colonisation, un État irlandais indépendant venait d’être créé. Mais, dirigé par la bourgeoisie et sous le poids d’un clergé ultraréactionnaire, cet État n’avait rien à voir avec l’idéal démocratique et égalitaire pour lequel s’étaient battus Connolly et les rebelles de Pâques 1916.

Tout en engageant la lutte, James Connolly avait d’ailleurs formulé cette crainte : « Si, dès demain, vous chassez l’armée anglaise et hissez le drapeau vert sur le château de Dublin, vos efforts s’avéreront vains si vous n’édifiez pas la république socialiste. L’Angleterre continuera de vous dominer. Elle vous dominera par l’intermédiaire de ses capitalistes, de ses propriétaires, de ses financiers, de toutes les institutions commerciales et individuelles qu’elle a implantées dans ce pays. [...] Envisager le nationalisme sans le socialisme [...] reviendrait à reconnaître publiquement que nos oppresseurs sont parvenus à nous inoculer leurs conceptions perverties de la justice et de la moralité, que nous aurions finalement décidé d’assumer ces conceptions comme les nôtres propres et n’aurions plus besoin d’une armée étrangère pour nous les imposer. »

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