Dans le monde

Pêche : Macron et Johnson en eaux troubles

Le 27 octobre, le gouvernement français avait sommé les autorités britanniques d’accorder les quelques dizaines de licences réclamées par les pêcheurs français pour travailler dans les eaux des îles anglo-normandes, comme ils le font depuis toujours.

Le Brexit s’était en effet accompagné d’une renégociation générale des zones et quotas de pêche, y compris autour de ces îles.

Annick Girardin, ministre de la Mer, a menacé d’interdire les ports français aux navires britanniques, de les empêcher de travailler en multipliant les contrôles douaniers, administratifs et sanitaires et de bloquer, par la même méthode, le trafic routier entre le continent et l’Angleterre. A l’appui de ses menaces, le gouvernement français a fait intercepter deux bateaux britanniques, contraignant l’un d’entre eux à se dérouter vers le Havre. Finalement, mardi 2 novembre, à quelques heures de l’expiration du délai et après deux rencontres à huis clos entre Macron et Johnson, le Premier ministre britannique, après aussi la délivrance de 43 licences provisoires, le gouvernement français a retiré son ultimatum et ouvert de nouvelles discussions.

Les licences sont en effet une question de survie pour les navires concernés qui sont conçus, équipés et manœuvrés pour une pêche et une région spécifiques, Jersey en l’occurrence. Mais, pour le malheur des pêcheurs, elles sont aussi un enjeu politique. En faisant preuve d’une mauvaise volonté évidente à l’encontre des navires français, Johnson, bien aidé par Macron, cherche à faire oublier aux pêcheurs britanniques, et en particulier aux plus petits, à quel point il les a trompés. Le Brexit, contrairement aux promesses, ne leur a rien rapporté en quotas supplémentaires et presque rien en zones de pêche exclusives. Pire encore, la sortie de l’Union européenne s’est accompagnée d’une renégociation avec la Norvège et le Danemark, désastreuse pour la petite pêche écossaise. Seule la pêche industrielle a tiré son épingle du jeu, quand le nombre de petits bateaux continue à diminuer. Même tableau du côté français : les accords de sortie du Brexit ont essentiellement favorisé les grandes entreprises, alors que la petite pêche vit difficilement. Il est plus facile d’agiter le drapeau tricolore et de faire sortir un patrouilleur que d’empêcher la pêche industrielle de dévorer la pêche artisanale, conduisant sûrement les marins-pêcheurs à la ruine avant même d’avoir totalement vidé les océans.

L’affaire est ridicule, non seulement parce que le poisson et les éléments ne connaissent pas les frontières, mais aussi parce que le marché crée des liens d’interdépendance entre les pêcheurs, de Gibraltar au cap Nord et même au-delà. 80 % de la pêche britannique est vendue sur le continent et, à Boulogne, les usines où on transforme le poisson dépendent à 70 % des arrivages de bateaux ou de camions britanniques. S’il y a bien des pêcheurs de Granville qui ne travaillent qu’à Jersey, 80 % des captures de leurs collègues de Jersey transitent par Saint-Malo. La compagnie Euronor, basée à Boulogne, arme six grands navires et emploie plus de 130 marins et travailleurs à terre. C’est une filiale d’UK Fisheries, britannique comme son nom l’indique, elle-même détenue par le néerlandais Parleviet, géant mondial de la pêche. Où est la frontière ?

En tout cas, elle ne passe pas entre les travailleurs de la mer, caseyeurs de Granville ou de Jersey, marins anglais ou français des petits bateaux, matelots de tous les pays embarqués sur les navires usines ou ouvrières des conserveries de Boulogne, contrairement à ce que Macron et Johnson prétendent, faisant assaut de nationalisme.

Partager