17 octobre 1961 à Paris : des centaines d’Algériens assassinés par la police13/10/20212021Journal/medias/journalnumero/images/2021/10/2776.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Il y a 60 ans

17 octobre 1961 à Paris : des centaines d’Algériens assassinés par la police

Le 17 octobre 1961, la répression d’une manifestation de travailleurs algériens faisait entre 150 et 200 morts dans les rues de Paris. Jamais, depuis la Commune, la guerre contre des travailleurs n’avait atteint dans la capitale un tel sommet de violence et de haine.

En 1961, la guerre coloniale menée par le gouvernement français contre l’indépendance de l’Algérie durait depuis sept ans. Des milliers de jeunes Français et encore bien plus d’Algériens avaient été tués dans cette guerre. Jusqu’à deux millions de paysans avaient été internés dans des camps. La torture fonctionnait à plein dans les caves de l’armée française. Malgré cela, il devenait évident que rien ne pourrait empêcher l’indépendance.

En la préparant contre une partie de l’armée, de l’appareil d’État et des Français d’Algérie, De Gaulle servait au mieux les intérêts de la bourgeoisie.

Dans cette perspective le gouvernement continuait la guerre en Algérie afin de négocier l’indépendance en position de force. Les opérations se menaient aussi contre les 400 000 Algériens qui travaillaient en métropole. Comme en Algérie, le FLN avait conquis leur soutien ou au moins leur sympathie. Vivant dans des bidonvilles ou des logements infâmes, le plus souvent sans leur famille, tous subissaient des humiliations quotidiennes, des discriminations dans tous les domaines. Ces travailleurs, particulièrement exploités, faisaient aussi partie des opprimés qui s’étaient soulevés contre l’impérialisme français.

Pour leur mener la guerre, Maurice Papon avait été nommé préfet de police en 1958. Sous-secrétaire d’État dans un ministère du Front populaire en 1937, il poursuivit sa carrière sous Pétain en devenant secrétaire général de la préfecture de Gironde en 1942. À ce poste, il organisa l’envoi de travailleurs en Allemagne, pourchassa les opposants au nazisme et à l’État national, aida à déporter les Juifs vers les camps d’extermination. Puis il continua à servir l’État sous la 4e République, avec la réputation d’être proche des socialistes ! On le retrouva ensuite aux Antilles et en Algérie.

À partir de l’été 1961, en réponse aux rafles, aux assassinats réguliers d’Algériens, le FLN fit abattre une quinzaine de policiers. Cela servit de prétexte pour imposer, le 5 octobre, un couvre-feu aux Algériens. Il leur était interdit de circuler entre 20 h 30 et 5 h 30 du matin, de se promener à plusieurs dans les rues, et de circuler en voiture. Pour réclamer la levée de ce couvre-feu, le FLN décida d’une grande manifestation, le 17 octobre 1961, bravant l’interdit.

Pour le FLN, il s’agissait surtout de démontrer, y compris pour l’opinion publique internationale, l’adhésion de la population algérienne à sa politique. En décidant que cette manifestation serait pacifique, qu’hommes, femmes et enfants y participeraient, en interdisant aux manifestants d’avoir la moindre arme ou de se protéger, il prenait sciemment le risque d’un massacre pour les besoins de sa démonstration.

Les mesures anti-algériennes ne furent dénoncées ni par les grands partis de gauche, SFIO et PCF, ni par les syndicats, qui avaient les mains sales dans cette guerre coloniale. Le PCF avait voté les pleins pouvoirs au socialiste Guy Mollet, qui avait envoyé le contingent en Algérie. Il cachait derrière le slogan « Paix en Algérie » son rejet de la revendication de l’indépendance, alors même que bien des militants communistes s’en sentaient solidaires. Ainsi, les Algériens furent laissés seuls face à la police, à qui le gouvernement offrait toute liberté de terroriser, torturer et tuer.

Le soir du 17 octobre, des rassemblements se formèrent aux portes de Paris. Mais d’énormes forces de police, ainsi que des « supplétifs » en nombre avaient été mobilisés pour empêcher les manifestants de prendre le métro et de rejoindre le centre de Paris. Dans les jours précédents, les agents de police avaient été chauffés à blanc par le préfet. Des rumeurs amplifiées de meurtres de policiers circulaient. Papon affirma lors de l’enterrement d’un policier : « Pour un coup reçu, nous en porterons dix ! » Ainsi, les policiers attendant les manifestants savaient qu’ils pouvaient tuer en toute impunité. Et ils ne s’en privèrent pas.

Le 17 octobre, les coups pleuvent dès les premières interpellations. Certains Algériens sont assassinés par balle, et aucun compte ne sera jamais demandé aux agents de police sur l’utilisation de leurs munitions. D’autres sont battus à mort à coups de matraque. Au pont de Neuilly, les premiers manifestants sont assommés avant d’être jetés à la Seine.

Les mêmes scènes se répètent au pont Saint-Michel. Sur les grands boulevards, entre Opéra et le cinéma le Grand Rex, des milliers d’Algériens arrivent à former un cortège. La police les bloque et commence à les rouer de coups. Sur les quais du métro, ils sont parqués ensanglantés.

Les passants qui assistent à ces scènes sont repoussés. Ceux qui veulent aider les Algériens sont tabassés à leur tour. Certains distribuent des tickets de métro pour leur permettre de s’enfuir. D’autres tentent de prendre des blessés dans leur voiture. Ceux qui prennent des photos, se font arracher leur appareil. Beaucoup aussi applaudissent, tant la guerre a attisé le nationalisme et le racisme.

Des cadavres ou des blessés gisent sous les fenêtres du siège du journal du PCF, L’Humanité dont les grilles sont fermées pour interdire aux manifestants traqués de s’y réfugier.

11 500 Algériens sont arrêtés et envoyés dans des centres d’internement où le massacre se poursuit au-delà même de la nuit du 17 octobre. Les policiers cherchent aussi à arrêter des blessés dans les hôpitaux. Certains interpellés de ces jours d’octobre sont finalement libérés après avoir été battus et torturés, d’autres sont expulsés vers l’Algérie, d’autres encore portés disparus définitivement. Le bilan exact des morts de cette répression ne sera jamais établi.

Dans les jours suivants, la presse dans son ensemble reprit les dires de la police sur la violence des Algériens lors de cette manifestation et le nombre officiel de morts : trois ! Quelques critiques se firent quand même entendre. La CGT se contenta d’une dénonciation écrite de ce massacre. Alors que bien des travailleurs manquaient à l’appel sur les postes de travail, ni la CGT ni le PCF ne menèrent campagne pour expliquer en quoi cette répression qui visait une fraction de la classe ouvrière en France, concernait l’ensemble des travailleurs.

Pendant des décennies, l’État français a tout fait pour que ce crime massif tombe dans l’oubli. Forcer le gouvernement d’aujourd’hui à le reconnaître serait la moindre des choses. Mais le principal n’est pas là. Le 17 octobre et les morts de la répression doivent rester dans la mémoire ouvrière car ils font partie de la longue histoire de la lutte des travailleurs contre l’ordre social et contre un État qui le défend bec et ongles. Ceux qui parlent encore actuellement de la possibilité d’une police républicaine, d’un État de droit, mentent. La police, l’armée et l’État sont des ennemis irréductibles de la classe ouvrière et des opprimés en général et ne changeront pas, il faudra les détruire.

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