La révolution russe et l’émancipation des femmes29/09/20212021Journal/medias/journalnumero/images/2021/10/2774.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a cent ans

La révolution russe et l’émancipation des femmes

L’émancipation des femmes fait partie intégrante du combat du mouvement ouvrier communiste. Première prise du pouvoir par la classe ouvrière à grande échelle, la révolution russe de 1917 a fait souffler un vent d’émancipation sur les ouvrières et sur les paysannes, malgré les difficultés terribles liées au sous-développement, à son isolement dans un seul pays, au sabotage des milieux bourgeois et aristocratiques, à l’agression par les puissances impérialistes coalisées.

Les pas réalisés dans la direction de l’émancipation des femmes, et la façon dont ils furent faits, donnent la mesure des bouleversements que permet une révolution sociale profonde. Ce n’est que par la suite que la bureaucratie stalinienne, une fois installée au pouvoir, revint à une vision conservatrice du rôle de la femme comme mère de famille et freina les progrès initiaux.

Pendant la Première Guerre mondiale, les femmes étaient entrées massivement dans les usines russes pour remplacer les hommes partis au front, jusqu’à représenter 43 % des ouvriers. Leur situation restait marquée par la soumission au père de famille, les violences domestiques, le poids de la religion et de la tradition, l’analphabétisme, les salaires inférieurs de moitié à ceux des hommes, l’obligation de travailler jusqu’à l’accouchement et de reprendre dès le lendemain.

La révolution russe fut lancée par une manifestation d’ouvrières du textile en février 1917 à Petrograd. Elle déboucha en octobre, sous la direction du parti bolchevique, sur un nouveau pouvoir reposant sur la mobilisation et l’organisation des travailleuses et des travailleurs eux-mêmes. Le Conseil des commissaires du peuple fut aussi le premier gouvernement du monde où siégea une femme, Alexandra Kollontaï.

Le nouveau pouvoir réa­li­sa rapidement, en termes de changements législatifs, ce pour quoi les féministes se battaient alors dans les pays dits démocratiques en Europe et aux États-Unis : droit de vote et éligibilité, fin de l’autorité du chef de famille, mariage civil, simplification du divorce, égalité de droits entre les enfants nés hors mariage ou pas, interdiction du travail de nuit pour les femmes, égalité salariale, congé maternité de 16 semaines pour les ouvrières et de 12 semaines pour les employées, légalisation et gratuité de l’avortement (en 1920).

Comme le dit Lénine fin 1918 : « Nulle part dans le monde l’égalité et la liberté des femmes travailleuses n’ont trouvé une aussi complète réalisation […]. Pour la première fois dans l’histoire, notre loi a effacé tout ce qui a fait de la femme un être sans droits. » Il poursuivait en disant : « Naturellement les lois ne sont pas suffisantes. » Car il y a une marge entre l’égalité sur le papier et l’égalité réelle dans la vie quotidienne…

Lénine constatait en 1919 : « La femme continue à demeurer l’esclave domestique, malgré toutes les lois libératrices, car la petite économie domestique l’oppresse, l’étouffe, l’abêtit, l’humilie en l’attachant à la cuisine, à la chambre des enfants, en l’obligeant à dépenser ses forces dans des tâches terriblement improductives, mesquines, énervantes, abrutissantes, déprimantes. » Inessa Armand précisait à ce sujet : « Pour remplacer des milliers et des millions de petites unités économiques individuelles, de cuisines rudimentaires malsaines et mal équipées et l’incommode baquet à lessive, il nous faut créer des structures collectives exemplaires, des cuisines collectives, des cantines collectives et des laveries collectives ».

La nouveauté, c’est que l’État ouvrier était un organe aux mains des travailleurs, fonctionnant grâce à leurs initiatives, en particulier celles des travailleuses. Malgré la pauvreté du pays, beaucoup s’attelèrent à changer le mode de vie : par la mise en place de logements communautaires, de cantines, de crèches et de jardins d’enfants, de maisons maternelles accueillant les femmes avant et après les naissances.

Le Parti bolchevique mena une lutte militante pour davantage impliquer les femmes dans l’action politique. Lénine soulignait les difficultés à construire une société socialiste : « C’est le début d’une révolution plus difficile, plus essentielle, plus radicale et plus décisive que le renversement de la bourgeoisie, car c’est une victoire sur notre propre routine, notre relâchement […], sur ces habitudes que le capitalisme a léguées à l’ouvrier et au paysan ». Aux ouvrières et aux paysannes, le passé avait légué les préjugés religieux, le manque d’éducation et de conscience politique, le manque de confiance en soi.

Pour combattre cet héritage, les dirigeantes bolcheviques Alexandra Kollontaï, Inessa Armand et Concordia Samoïlova réunirent à l’automne 1918 plus de 1 100 femmes pour un congrès panrusse des ouvrières et des paysannes. En 1919, malgré l’opposition de certains militants, elles créèrent une section du comité central du parti bolchevique chargée de militer parmi les travailleuses (le Jenotdel), qui exista jusqu’en 1930 : des déléguées élues par les ouvrières et par les paysannes pour trois à six mois réunissaient des travailleuses pour écouter leurs problèmes, participaient à des meetings, à des campagnes de propagande contre l’alcoolisme, les violences domestiques, les épidémies…, s’initiaient à la gestion des institutions collectives (jardins d’enfants, crèches, cantines). Nadejda Kroupskaïa estimait que 10 millions de femmes furent ainsi déléguées à un moment ou à un autre.

Des journaux bolcheviques (L’ouvrière, La communiste) jouaient un rôle d’éducation politique et de caisse de résonance aux problèmes et aux préoccupations des ouvrières. La lutte pour l’alphabétisation permit à des millions de femmes d’accéder pour la première fois à la lecture, en particulier dans les campagnes où les popes de l’Église orthodoxe et des vieux s’y opposaient, y voyant l’influence de l’Antéchrist !

Dans les Républiques soviétiques d’Orient, le pouvoir des soviets interdit la polygamie, la pratique de la dot, et chercha à s’appuyer sur les mobilisations des femmes pour renverser les castes féodales et religieuses archaïques. En 1921, un congrès des femmes communistes d’Orient s’exprima ainsi : « Esclaves, nous naissions et esclaves, nous mourions […], il semblait que cela devait être notre destin éternel […]. Mais voilà, en octobre 1917, une étoile rouge apparut, jamais vue auparavant, et ainsi les ouvrières et les paysannes se joignirent à la Révolution et cela changea leurs vies. » Le chemin restait encore long : en Ouzbékistan en 1928, plus de 200 femmes furent assassinées par leurs familles pour avoir tenté d’exercer leurs droits, ou pour avoir assisté à une réunion du Jenotdel.

Dans les campagnes, les militantes parlant contraception, participation à la vie des soviets, lecture, se heurtaient aux traditions patriarcales : telle jeune femme, débusquée au club de lecture de son village par sa belle-mère, était traînée par les cheveux jusqu’au foyer conjugal. Telle lectrice écrivait à un journal socialiste que son mari l’« accable d’injures et presque de coups. Il ne veut pas que je travaille, il voudrait que je reste assise sur le poêle, […] mais moi je veux être une ouvrière de la grande révolution d’Octobre ; j’en ai assez d’être une bonne femme, je veux être un être humain ».

Le pouvoir des soviets, avec ses réalisations juridiques et matérielles, exprimait la volonté de changement qui émergeait parmi des millions d’ouvrières et de paysannes et nombre de leurs compagnons, et ébranlait des traditions qui pesaient sur la vie des femmes depuis des siècles.

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