il y a 100 ans

Juillet 1921, le congrès de l’Internationale communiste : pour la conquête des masses

Il y a un siècle, à partir du 22 juin 1921, l’Internationale communiste réunissait son troisième congrès à Moscou, capitale de la Russie rouge. Elle n’avait que deux ans d’existence puisqu’elle avait été fondée en 1919, dans la tourmente révolutionnaire déclenchée par la Première Guerre mondiale, mais ce congrès marquait une étape essentielle dans l’affirmation d’une politique communiste révolutionnaire.

pour la conquête des masses

À partir de 1917, après trois ans de massacres et de mensonges, les soldats avaient commencé à se mutiner sur tous les fronts, les ouvriers et ouvrières de l’arrière à se révolter, de Petrograd à Berlin, de Turin à Glasgow. La vague avait emporté le tsar de Russie en février 1917, porté les travailleurs de Russie au pouvoir en octobre, avant de détrôner les empereurs germaniques en novembre 1918 et de jeter les ouvriers hongrois, finlandais, allemands et italiens dans la lutte révolutionnaire en 1919 et 1920.

Lors de son deuxième congrès à l’été 1920, l’Internationale communiste s’affirma en parti mondial de la révolution prolétarienne. La panique gagnait la bourgeoisie européenne et le pouvoir sembla à portée de main des travailleurs. Le dernier chapitre du manifeste du deuxième congrès, fixant les tâches des partis communistes, commençait par cette phrase : « La guerre civile est mise à l’ordre du jour dans le monde entier. La devise en est : “Le pouvoir aux Soviets” ».

La double tâche que la situation assignait aux militants révolutionnaires, « construire une organisation pratiquement toute neuve en assumant simultanément la direction d’un mouvement de masses en voie de développement rapide » (Trotsky, à propos de la France en novembre 1919) s’avérait difficile. Le Parti socialiste d’Italie, pourtant devenu section de l’Internationale communiste, laissa délibérément sans direction et sans perspective les ouvriers qui occupaient les usines en septembre 1920. Puis, le danger fasciste s’affirma, menaçant toute la classe ouvrière italienne. Le tout nouveau Parti communiste, issu du congrès de Livourne de janvier 1921, s’avéra trop jeune, trop faible, trop inexpérimenté pour faire face à la situation.

En mars 1921, ce fut le parti communiste allemand qui, en lançant prématurément une fraction de la classe ouvrière à l’assaut, la conduisit à l’échec. Plus grave encore, une partie de sa direction tenta de justifier la politique suivie, tandis qu’une autre se désolidarisait avec mépris des ouvriers insurgés.

Ces deux échecs, et quelques autres, intervenaient au moment où, après la catastrophe de la guerre et la crise économique de l’immédiat après-guerre, l’économie mondiale montrait quelques signes de reprise. Dans un contexte de stabilisation relative du capitalisme, la masse des travailleurs se retrouvait, au moins pour quelque temps, dans une situation où le moment de l’offensive révolutionnaire s’éloignait, faisant place à la simple nécessité de défendre son morceau de pain au jour le jour.

En même temps, en Russie, l’extraordinaire tension des forces prolétariennes, nécessaire dans la guerre civile et face à la famine et aux dangers de toutes sortes, arrivait à son point de rupture. Au printemps 1921 des grèves, des révoltes de paysans, l’insurrection des marins de Cronstadt, convainquaient les dirigeants bolcheviques et particulièrement Lénine de la nécessité d’une pause. Pour tenter de faire repartir la vie économique d’un pays ravagé par sept ans de guerre, voyant s’éloigner la perspective de l’aide d’une Allemagne révolutionnaire ou d’une France socialiste, l’État ouvrier soviétique inaugura la Nouvelle politique économique (NEP). Il s’agissait de redonner quelque liberté d’entreprendre à la petite bourgeoisie des campagnes et des villes, de réintroduire une part de marché privé et de profit individuel, de proposer des concessions à des capitalistes étrangers. Lénine qualifiait la NEP de retraite rendue nécessaire par le retard de la révolution mondiale et le disait franchement, aussi bien aux travailleurs de Russie qu’aux communistes du monde entier.

Au congrès, il revint à Trotsky d’exposer les analyses économiques montrant la stabilisation relative du capitalisme. La direction de l’Internationale en concluait que l’heure n’était plus à la lutte directe pour le pouvoir, mais au combat pour la conquête des masses. Trotsky ajoutait que cette stabilisation pouvait n’être que de courte durée car le système capitaliste était à bout de souffle et ne se survivait que de crise en crise. Le congrès analysa sous cet angle les tactiques passées et les possibilités des partis communistes, en Italie et en Allemagne au premier chef. Il se pencha aussi sur l’incapacité manifeste du parti français à se débarrasser des habitudes parlementaristes héritées de la SFIO et des hommes qui les incarnaient. Pour Lénine, l’adoption de la Nouvelle politique économique en Russie constituait en fait le pendant russe de ce changement de tactique. La situation économique mondiale, les rapports de force mondiaux dictaient leur loi à tous, y compris au jeune État ouvrier.

Il fallut d’âpres débats, dans lesquels Lénine et Trotsky dirent ironiquement constituer la fraction de droite de l’Internationale, pour faire admettre à la majorité cette nouvelle politique. Lénine exposa, à plusieurs reprises, comment le Parti bolchevique avait gagné la majorité entre février et octobre 1917, comment il avait mesuré sa progression, parmi les ouvriers, puis parmi les soldats, et comment il avait changé de programme agraire pour s’assurer du soutien des paysans. S’appuyant sur l’expérience des révolutionnaires russes durant deux décennies, il montra combien il était nécessaire d’avoir toute la classe ouvrière et la majorité des exploités derrière soi pour pouvoir prendre le pouvoir. Il ne suffisait pas, répétait Lénine, d’affirmer que les dirigeants socialistes étaient des traîtres pour convaincre la masse des travailleurs que les communistes avaient raison, constatant que dans aucun pays, le Parti communiste n’avait derrière lui la majorité des ouvriers et la moitié des soldats, ni même n’était en voie d’y parvenir. Le congrès vota finalement les thèses et l’orientation politique proposées par Lénine et Trotsky.

Rendant compte du congrès devant une assemblée de militants de Moscou, Trotsky le qualifia de « grande école de stratégie révolutionnaire ». Il ajouta : « Nous avons posé, pour la première fois, dans toute son ampleur et dans toute son acuité, le problème suivant : la lutte révolutionnaire pour le pouvoir a ses lois, ses moyens, sa tactique et sa stratégie ; qui ignore cet art, ne connaîtra jamais la victoire. »

Au terme de ce congrès, l’Internationale communiste apparaissait comme mieux armée pour affronter une situation mondiale complexe. Il restait aux partis communistes des différents pays à se renforcer, organisationnellement et politiquement, pour que l’Internationale puisse réellement assumer son rôle de parti mondial de la révolution prolétarienne. Malheureusement, le développement rapide du stalinisme en URSS allait rendre la tâche de plus en plus difficile.

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