Dans le monde

Turquie : un chef mafieux dévoile ses relations avec le pouvoir

Depuis début mai, en Turquie, les vidéos diffusées sur Internet par un mafieux notoire, Sedat Peker, font sensation, étalant au grand jour les aspects les plus sombres du régime d’Erdogan.

Véritable gangster, Sedat Peker a été emprisonné jadis à plusieurs reprises pour escroquerie, meurtres et crimes en bande organisée. Il règle maintenant ses comptes avec d’anciens proches tels que l’actuel ministre de l’Intérieur, Süleyman Soylu. Il met aussi en cause Berat Albayrak, gendre d’Erdogan et ex-ministre de l’économie impliqué dans des scandales, qui a disparu prudemment de la scène publique depuis le mois de novembre 2020. L’ancien ministre de l’intérieur Mehmet Agar, déjà connu pour son implication dans quelques scandales, fait lui aussi les frais des révélations de Peker.

Les neuf vidéos déjà publiées ont battu des records d’audience, ayant été visionnées plus de cent millions de fois. Elles explicitent en effet, avec preuves à l’appui, des crimes non élucidés jusqu’à maintenant car attribués à « l’État profond », c’est-à-dire à la collaboration entre la police, les services secrets et de simples bandits.

C’est en janvier dernier que la justice aurait commencé à s’intéresser à certaines affaires mettant en cause Peker. Celui-ci dit avoir alors pu quitter le pays grâce à la complicité du ministre de l’Intérieur. Süleyman Soylu lui aurait fourni les papiers nécessaires et même des gardes du corps, en l’assurant qu’il pourrait revenir au pays dès avril. Mais voilà, en avril, non seulement Peker n’a pu revenir, mais sa maison à Istanbul a été perquisitionnée et sa femme et ses enfants maltraités. Il se considère donc trahi par ses protecteurs. Réfugié semble-t-il à Dubaï et pensant visiblement que sa meilleure protection est désormais de déballer tout ce qu’il sait avant qu’on tente de le liquider, Peker a alors publié sa série de vidéos.

Vengeur, le mafieux y raconte comment il a aidé Soylu à faire carrière et à devenir ministre, comment il a participé aux campagnes électorales du parti AKP d’Erdogan et de son allié d’extrême droite MHP, comment il a soutenu financièrement les hommes du pouvoir et leurs proches. Il explique aussi comment il a organisé et financé avec le pouvoir la livraison d’armes aux milices djihadistes en Syrie, ou aidé aux assassinats d’opposants. Par exemple, Peker dit avoir engagé son frère pour assassiner un journaliste opposant à Chypre du Nord, en 1996, à la demande d’un général en service à Chypre.

Dans le contexte de la crise économique grave que traverse le pays, ces vidéos frappent leurs nombreux spectateurs qui n’imaginaient pas ce degré de pourriture du pouvoir. Ce grand déballage sème le malaise jusque dans les rangs de l’AKP, dont un ancien dirigeant, Cemil Çiçek, a réclamé l’ouverture d’une enquête, en ajoutant : « même si un millième seulement de tout cela est vrai, c’est un désastre. »

Bien sûr, ces révélations ne sont pas vraiment une surprise. Les liens du parti d’Erdogan avec des boss mafieux, les trafics d’armes avec la Syrie, l’aide donnée plus ou moins directement à des djihadistes de Daech, tout cela était connu. En tout cas un certain nombre de journalistes avaient tenté de faire connaître ces faits, sans que les médias contrôlés par le pouvoir y prêtent attention. Mais lorsque Sedat Peker déballe tout son linge sale, mécontent des promesses non tenues du gouvernement, le scandale prend de l’ampleur. Au moment où la crise économique accentue chaque jour un peu plus le discrédit du gouvernement d’Erdogan, cela laisse présager de sordides règlements de comptes au sein de celui-ci.

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