La Première Internationale et la Commune21/04/20212021Journal/medias/journalarticle/images/2021/04/P10-1_AIT_congres_de_Geneve_1866.jpg.420x236_q85_box-0%2C35%2C900%2C542_crop_detail.jpg

Il y a 150 ans, la commune

La Première Internationale et la Commune

En 1871, Jules Favre, ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement qui massacra les communards, dénonçait le rôle joué par l’Association internationale des travailleurs (AIT) dans la Commune.

Illustration - La Première Internationale et la Commune

« À côté des jacobins parodistes, […] il faut placer les chefs d’une société maintenant tristement célèbre, qu’on appelle l’Internationale, et dont l’action a été plus puissante peut-être que celle de leurs complices, parce qu’elle s’est appuyée sur le nombre, la discipline et le cosmopolitisme », disait Jules Favre. Mais si l’AIT ne dirigea pas la révolution parisienne depuis Londres où se tenait le conseil général, comme la propagande bourgeoisie l’en accusa, la Commune fut, pour reprendre les mots d’Engels, « sans contredit la fille de l’Internationale ».

Sept ans plus tôt, les ouvriers convaincus de la nécessité de s’unir par-delà les frontières avaient créé cette première internationale de l’histoire du mouvement ouvrier, à laquelle Marx et Engels avaient adhéré. En France, à la veille de 1871, malgré le régime policier de Napoléon III, les travailleurs avaient appris à se défendre dans les grèves et à s’organiser dans des syndicats. Des militants surgissant des rangs ouvriers en appelaient à la « république sociale », ce qui pour eux signifiait la république des travailleurs. Nombre d’entre eux rejoignirent l’Association internationale des travailleurs, animée par un conseil général basé à Londres et constitué de sections nées en Grande-Bretagne, en France, en Belgique, en Suisse, puis en Prusse, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas et aux États-Unis.

L’AIT était traversée par diverses tendances, trade-unionistes en Angleterre, proudhoniens en France, misant sur le développement des coopératives. Seule une minorité se tournait vers le socialisme scientifique de Marx. Mais l’idée socialiste faisait son chemin. L’AIT l’avait proclamé dès ses débuts : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. »

Quelles étaient les forces militantes de l’AIT en France, et plus précisément à Paris ? Elle n’était certes pas une organisation de masse. Franquin, trésorier de l’organisation parisienne, avançait le chiffre de 1 250 cotisants. Mais chaque groupe rayonnait bien plus largement, s’entourant d’amis, de sympathisants, de proches qu’il influençait. Les « marmites », ces restaurants coopératifs créés par Varlin, sections elles aussi de l’AIT, s’avéraient des centres actifs d’information, de discussion, de propagande.

Le typographe Georges Bertin, qui fut secrétaire du mouvement avant d’être celui de la Commission pour le Travail et l’Échange durant la Commune, en mentionnait onze, avec 8 000 souscripteurs. Dans la première moitié de 1870, vingt sociétés ouvrières adhérèrent à l’Internationale. L’influence de l’AIT s’étendait à plusieurs dizaines de milliers de membres, d’après l’historien Rougerie. Il existait pendant la Commune 60 sections de quartier de l’Internationale et 74 chambres syndicales d’ouvriers et d’employés y avaient adhéré.

La bourgeoisie voyait évidemment dans cette organisation internationale de travailleurs un ennemi à abattre. Ainsi à la veille de la Commune, du 22 juin au 5 juillet 1870, l’AIT fut confrontée à un troisième procès, à l’issue duquel des militants furent une nouvelle fois emprisonnés ou durent prendre le chemin de l’exil.

Quelques jours avant le déclenchement par Napoléon III de la guerre contre la Prusse de Bismarck, dans le journal le Réveil du 12 juillet 1870, les membres parisiens de l’AIT publièrent un manifeste intitulé « Aux travailleurs de tous les pays » : « Travailleurs français, allemands, espagnols, que nos voix s’unissent dans un cri de réprobation contre la guerre ! […] Frères d’Allemagne ! Nos divisions n’amèneraient, des deux côtés du Rhin, que le triomphe complet du despotisme. »

Cependant, dès le 4 septembre, après la défaite de Napoléon III à Sedan qui entraîna la chute de son régime, la section française apporta son soutien à cette République qui venait d’être proclamée. Dans une adresse datée du 9 septembre, Marx mit en garde les ouvriers français : ils « doivent remplir leur devoir de citoyens. Mais en même temps ils ne doivent pas se laisser entraîner par les souvenirs nationaux de 1792… Ils n’ont pas à recommencer le passé mais à édifier l’avenir. Que calmement et résolument ils profitent de la liberté républicaine pour procéder méthodiquement à leur propre organisation de classe. »

Le sentiment patriotique des ouvriers contre les visées de conquête de Bismarck était mêlé d’un instinct de classe, car ils sentaient confusément que ce gouvernement qui se disait de la Défense nationale ne défendait pas la république sociale qu’ils souhaitaient. Marx, dans la seconde adresse du conseil général de l’AIT sur la guerre franco-allemande datée du 9 septembre 1870, soulignait le fait que, de défensive contre les visées de Napoléon III, cette guerre était devenue, de la part de Bismarck, une guerre de conquête visant aussi à détruire le nouveau régime républicain. Le Parti social-démocrate allemand protesta d’ailleurs contre l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine.

C’est cette conscience de classe qui poussait les travailleurs parisiens à s’organiser par eux-mêmes au sein des comités de vigilance, pendant que les bataillons de la Garde nationale constitués dans les arrondissements populaires créaient un comité central composé de délégués élus et révocables à tout moment.

Dans ces comités de vigilance, comme au sein du comité central de la Garde nationale, puis au sein de la Commune, les militants des sections parisiennes de l’Internationale étaient nombreux. Assi, mécanicien, qui avait joué un rôle important lors des grèves aux usines Schneider du Creusot en 1870, Avrial, Duval, et le plus connu de ces militants, le relieur Varlin, jouèrent un rôle actif le 18 mars, quand les Parisiens empêchèrent les soldats envoyés par le chef de l’exécutif, Thiers, de les désarmer. Mais il y en eut bien d’autres, moins connus : Charbonneau, menuisier, commandant d’armement et d’habillement de la XIVe légion de la Garde nationale, le menuisier Ferdinand Félix, syndiqué, membre de la Garde nationale au 136e bataillon, l’un des animateurs de la section de Montrouge, le tailleur de pierre Henri Myard, secrétaire de la même section, garde national au 103e, délégué à l’Assistance pour le XIVe arrondissement.

Ces militants contribuèrent à donner aux mesures de la Commune leur signification de classe. Ainsi, le rôle essentiel de l’AIT fut d’avoir formé une telle génération de militants convaincus de la nécessité pour les travailleurs de prendre leurs affaires en main et de contester la direction de la société à la bourgeoisie. Certains de ces militants de l’Internationale, comme l’ouvrier bijoutier Léo Frankel, qui dirigea la commission du Travail et de l’Échange, ou le cordonnier Séraillier tentèrent de faire le lien avec le conseil général de Londres et Karl Marx, qui suivait pas à pas les événements révolutionnaires parisiens.

Dans une lettre du 17 avril 1871, Marx écrivait que, quelle qu’en soit l’issue, « nous avons obtenu un nouveau point de départ d’une importance historique universelle ». Plus tard, après la Semaine sanglante, lors de la conférence de l’AIT qui se tint à Londres du 17 au 23 septembre 1871, Marx rendit ainsi hommage aux militants parisiens de l’AIT : « Le conseil général est fier du rôle éminent que les sections parisiennes de l’Internationale ont assumé dans la glorieuse révolution de Paris. »

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