Pouvoir révolutionnaire et libération des femmes07/04/20212021Journal/medias/journalnumero/images/2021/04/2749.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Il y a 150 ans, la commune

Pouvoir révolutionnaire et libération des femmes

Sans droits, sans existence civile, mal payées, contraintes pour certaines à la prostitution, opprimées à l’usine et au sein de la famille, les femmes des milieux populaires prirent toute leur place dans ce pouvoir de la classe ouvrière qu’était la Commune.

Les femmes n’étaient ni électrices ni éligibles. Aucune n’y fut donc élue. Elles contribuèrent cependant à mettre en place cet État ouvrier. Bien présentes dès les manifestations du 4 septembre et le 18 mars à Montmartre où elles réussirent à convaincre les soldats chargés par Thiers d’enlever les canons, de mettre la crosse en l’air.

Dès le début de la Commune, les femmes firent ressurgir les clubs politiques et s’approprièrent les églises pour y tenir leurs réunions. Le club Ambroise (11e arrondissement) compta 3 000 femmes. Celui de la Boule Noire (17e) fut fondé et présidé par Sophie Poirier, couturière. Louise Michel, institutrice blanquiste puis anarchiste, présida souvent le club de la Révolution à Saint-Bernard de la Chapelle. Blanche Lefebvre, une modiste, ceinte d’une écharpe rouge et le revolver à la ceinture, prit la parole presque tous les soirs au club de la Révolution sociale. Les articles, les tracts politiques, les appels furent souvent écrits par des femmes comme André Léo, créatrice du journal La Sociale.

Les femmes de la Commune agirent en tant qu’ambulancières, cantinières, mais aussi combattantes. Dans chaque mairie d’arrondissement, elles tinrent des permanences, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, où venaient s’engager des volontaires pour organiser la défense, le ravitaillement et l’éducation. Elles montaient la garde aux portes de Paris et étaient armées. Dans le 12e arrondissement, une légion de femmes fut constituée sous le commandement de la colonelle Adelaïde Valentin, ouvrière, et de la capitaine Louise Neckbecker.

Elles investissaient, aux côtés des hommes, les comités de vigilance, comme à Montmartre où existaient deux comités, celui des hommes et celui des femmes. Louise Michel, se rendit aux deux. « On ne s’inquiétait guère de savoir à quel sexe on appartenait pour faire son devoir. Cette bête de question était finie », dit-elle dans ses Mémoires. Elle affirma dans son journal, La révolution sociale : « Les femmes ne doivent pas séparer leur cause de celle de l’humanité, mais faire partie militante de la grande armée révolutionnaire ».

En matière d’éducation, des femmes mirent en place des cours gratuits d’instruction élémentaire, des écoles professionnelles. Elles organisèrent des lectures aux mères de famille, des cours pour les jeunes gens qui, travaillant le jour, n’étaient jamais allés à l’école. Marguerite Tynaire fut la première femme à occuper le poste d’inspecteur des écoles de Paris. Paule Mink ouvrit une école gratuite pour filles dans une église.

En avril, Karl Marx demanda à une militante de l’Association internationale des Travailleurs, une femme d’origine russe, Élisabeth Dmitrieff, d’être sa correspondante à Paris. Les 11 et 12 avril, elle lança avec d’autres un appel aux citoyennes de Paris à participer au soulèvement en rejoignant l’association révolutionnaire des travailleuses nouvellement fondée : l’Union des femmes pour la défense de Paris et le soutien aux blessés. Son premier objectif était la défense de Paris mais, l’appel affirmait : « Considérant en outre que dans l’ordre social du passé le travail de la femme étant le plus exploité, la réorganisation immédiate du travail est donc de toute urgence... nous voulons le travail, mais pour en garder les produits… Plus d’exploiteurs, plus de maîtres !… Vivre libres en travaillant, ou mourir en combattant ! »

L’Union des femmes, principalement composée d’ouvrières, s’adressa à Léo Frankel, responsable de la commission du Travail et de l’échange. Elle lui proposa de faire fonctionner les ateliers abandonnés par leur propriétaire, afin de lutter contre le chômage et notamment celui des femmes, et de passer ses commandes d’équipements militaires aux ateliers pris en main par les travailleurs eux-mêmes. Les dirigeants de la Commune furent bien évidemment partisans de cette idée, immédiatement appliquée.

Les femmes, les ouvrières posèrent aussi leurs propres revendications. La Commune institua le droit à la séparation de corps, le droit à une pension alimentaire. Elle interdit la prostitution considérée comme une forme de « l’exploitation commerciale de créatures humaines ». Elle décréta l’égalité des salaires pour les institutrices, considérant qu’« en matière éducation, le travail de la femme est égal à celui de l’homme ». Comme il apparaissait que la compagne non mariée du garde national n’avait pas les mêmes droits que l’épouse, qui elle, touchait un complément à la solde de son mari, les femmes réclamèrent le même traitement pour toutes. La Commune reconnaissait de fait l’union libre, alors très fréquente dans la classe ouvrière, et tous les enfants nés hors mariage.

En mai, face à l’offensive versaillaise, les femmes défendirent le nouvel État qui avait été pour elle une libération. Elles participèrent à l’érection des barricades. L’Union des femmes composa un manifeste : « Non, ce n’est pas la paix mais bien la guerre à outrance que les travailleuses de Paris viennent réclamer… Les femmes de Paris sauront elles aussi donner leur sang pour la défense et le triomphe de la Commune. » Et la majorité des femmes impliquées militairement furent des ouvrières.

Lors de la Semaine sanglante, les armées de répression du gouvernement républicain dirigé par Thiers firent payer très cher aux combattantes la place qu’elles avaient osé prendre dans la Commune à coups d’exécutions sommaires, de condamnations, de déportations. Pour les discréditer, la propagande versaillaise inventa même la figure de la « pétroleuse » incendiaire.

Que ce soit sur les barricades lors de la Semaine sanglante, dans les prisons ou en exil, ces combattantes revendiquèrent toujours le rôle qu’elles avaient joué pendant la Commune. Ainsi Louise Michel, lors de son procès, déclara aux juges à la solde des Versaillais sa fierté d’avoir été membre du pouvoir révolutionnaire : « Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’a droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame une part, moi ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance. […] Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi. »

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