Leur société

Essais nucléaires : quand l’armée française irradiait les Polynésiens

Une enquête du média en ligne Disclose et de Radio France ainsi qu’un livre, Toxique, viennent de paraître, mettant en évidence les dégâts de vingt ans d’essais nucléaires en Polynésie et le mépris, constant, de l’État français pour les populations colonisées.

Les essais d’une bombe atomique française ont commencé en 1960. Il s’agissait pour l’impérialisme français de conserver tant bien que mal son rang de grande puissance. Pour mettre au point ces armes, la France a d’abord procédé à des dizaines d’essais atmosphériques et souterrains en Algérie. Puis les atolls de Mururoa et de Fangataufa en Polynésie française furent utilisés pour ces essais. Entre 1966 et 1996, elle y effectua 193 essais nucléaires dont 46 dans l’atmosphère. Chacune de ces explosions produisit des nuages radioactifs balayés au gré des vents, exposant directement et en toute connaissance de cause les populations jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres du lieu des tirs.

Une étude publiée en 2016 montrait déjà que les évaluations officielles de la contamination de ces populations étaient largement sous-estimées. À partir des rares données militaires disponibles, il fut évalué que lors du premier essai, le 2 juillet 1966, le niveau de radiation sur l’archipel des Gambier, à 500 km de Mururoa, fut mille fois supérieur à celui relevé en France après le passage du nuage de Tchernobyl. Disclose démontre que l’armée savait pertinemment que le vent allait ce jour-là pousser la radioactivité vers les Gambier. Sur certaines îles de cet archipel, sur lesquelles la plupart des nuages radioactifs passèrent les années suivantes, les militaires étaient protégés dans des blockhaus en béton armé avec des murs de 60 centimètres d’épaisseur, tandis que les habitants n’eurent souvent pour seul abri, et pas avant 1967, qu’un simple hangar.

L’enquête de Disclose révèle aussi qu’en juillet 1974, un autre essai, baptisé Centaure, échoua. Le champignon nucléaire ne monta pas assez haut et se trouva poussé par les vents vers Tahiti, exposant aux radiations, puis au aérosols contaminés, 110 000 personnes, la quasi-totalité de la population. Alors que l’armée connaissait pertinemment le risque pour les populations locales, elle décida de ne rien faire, ne prévenant pas la population de se mettre à l’abri ni de s’abstenir de consommer l’eau de pluie et le lait.

Les conséquences dramatiques de ces essais ont toujours été niées par l’État français, y compris d’ailleurs pour ses propres militaires, dont des centaines sont tombés malades. La santé publique en Polynésie a été couverte par le secret militaire jusque dans les années 1980 et la contamination des civils a toujours été sciemment sous-estimée.

Les faits sont pourtant là. Dans les années 1980, les hôpitaux reçurent en provenance de Polynésie un nombre anormalement élevé d’enfants porteurs de tumeurs cérébrales. Aujourd’hui, on peut parler chez les Polynésiens de clusters de cancer, des familles entières étant frappées par la maladie. L’État, poussant jusqu’au bout son mépris de grande puissance, freine toute reconnaissance. Ainsi, alors qu’en vingt ans des dizaines de milliers de personnes ont été irradiées par les tirs de l’armée française, seulement 63 d’entre elles ont touché des indemnités.

Partager