Vaccins : une pénurie qui sert les trusts pharmaceutiques

03 Février 2021

La polémique entre AstraZeneca et l’Union européenne a mis en évidence les retards de livraison des vaccins. Tout se passe comme si les grands trusts pharmaceutiques n’avaient pas anticipé les besoins énormes liés à la pandémie.

En réalité, ils les ont anticipés mais ont fait consciemment un choix commercial. Celui de produire en minimisant les investissements et en faisant des surprofits quitte à le faire en dessous des besoins.

Quand ils se sont lancés dans la course au vaccin, ces trusts savaient que ce nouveau marché serait énorme. Il s’agit de la vaccination de milliards d’êtres humains, sûrement à plusieurs reprises car, d’une part, on ne sait pas combien de temps dure l’immunité, et d’autre part, comme c’est le cas pour la grippe, le coronavirus mute et engendre de nouveaux variants pour lesquels il sera sans doute nécessaire de créer de nouveaux vaccins chaque année.

Alors, dès le printemps dernier, avant la moindre certitude d’avoir un vaccin efficace, les trusts ont commencé à se partager ce futur marché avec la complicité des États des pays impérialistes. Ceux-ci ont passé commande par centaines de millions de doses de futurs hypothétiques vaccins, et ont aussi massivement subventionné à l’avance leur production. En juin, l’État français a donné 200 millions d’euros à Sanofi pour une nouvelle usine près de Lyon, qui serait prétendument la plus moderne du monde.

La presse a souvent dit que les pays riches avaient raflé à l’avance les doses de vaccin, ne laissant rien pour les pays pauvres. C’est vrai, mais ce n’était qu’un aspect du problème. En ­réalité, les grands trusts se sont surtout accaparé le marché des pays riches. Et les États n’ont cherché à aucun moment à mettre en concurrence les vaccins de ces trusts avec ceux d’autres pays comme la Russie ou la Chine. Que valent ces vaccins russes et chinois ? Les États des pays riches ont jusqu’à maintenant réservé le marché à leurs propres trusts pharmaceutiques.

Une fois ce marché acquis, les grands groupes pharmaceutiques se sont bien gardés d’investir dans de nouvelles usines ou de nouvelles lignes de production de vaccins. Pourquoi faire de telles dépenses ? Ils ont au contraire retardé et limité au maximum les investissements, en s’appuyant sur les capacités de production existantes, quitte à mentir comme des arracheurs de dents.

En novembre, AstraZeneca se vantait d’être capable de fournir à partir de janvier 2021 trois milliards de doses par an. Derrière cette fanfaronnade, il y avait la construction d’une nouvelle usine en Inde, le pays qui concentre le plus de sous-traitants de l’industrie des vaccins (60 % de ceux-ci, toutes maladies confondues, sont produits en Inde). Mais cette annonce était en partie du bluff. Cette usine ne sortira de terre que dans trois ans. La production des vaccins d’AstraZeneca en Inde se fera dans des usines déjà existantes en prenant la place d’autres vaccins pourtant essentiels contre la pneumonie, la rougeole, etc. Et l’usine Sanofi évoquée plus haut ne sera, elle, mise en service qu’en 2025.

Aujourd’hui, la pénurie est si choquante que les États se sentent obligés de réagir. Mais leur soumission aux trusts est telle que la seule chose qu’ils réclament est de pouvoir prendre les doses de leur voisin : l’Union européenne a tapé du poing sur la table pour obtenir d’AstraZeneca… les vaccins destinés au Royaume-Uni. Il faudrait obliger ces grands groupes à investir au plus vite leurs moyens financiers et industriels pour produire les doses de vaccins nécessaires. Ils en ont les moyens. Mais une force sociale capable de faire contrepoids aux décisions des trusts ne pourra venir que des travailleurs et de leur mobilisation, massive et consciente.

Pierre ROYAN