Dans le monde

Inde : les agriculteurs contre les lois du marché

Des centaines de milliers d’agriculteurs indiens sont mobilisés contre des lois qui libéralisent la vente des denrées agricoles. Partis en tracteurs de plusieurs États, en particulier du Pendjab, ils ont convergé début décembre vers New Delhi, la capitale, dont ils bloquent des accès.

Ces lois, votées le 20 septembre par le Parlement à la demande du gouvernement Modi, permettent aux agriculteurs de vendre leurs productions à n’importe quel acheteur avec un prix libre. Elles permettent de contourner les marchés régulés existant dans chaque État composant la fédération indienne et comportant un prix plancher.

Comme partout, la liberté dans le système capitaliste est d’abord la liberté des plus gros d’étrangler les petits. Le marché libre, c’est le pouvoir donné aux groupes de l’agroalimentaire ou de la grande distribution de tirer les prix vers le bas. Les manifestants ont d’ailleurs brûlé les portraits de deux grands patrons de l’agroalimentaire, les milliardaires Mukesh Ambani et Gautam Adani, qu’ils accusent d’avoir tenu la main de Modi pour écrire la loi. Comme leurs homologues occidentaux, sous prétexte de réduire les intermédiaires « de la ferme à la fourchette » et de développer le commerce électronique en direction de la petite bourgeoisie urbaine, ces géants de la distribution s’apprêtent à saigner les paysans.

En Inde, les agriculteurs et leurs familles représentent encore la moitié des 1,3 milliard d’habitants. Si les famines qui ont ravagé ce pays jusqu’au milieu du 20e siècle ont disparu, des centaines de millions de paysans, neuf sur dix, continuent de survivre sur des parcelles de moins d’un hectare. Les moins pauvres d’entre eux, pour se payer un tracteur ou pour acheter semences et engrais, ont dû s’endetter. Ceux qui ne pouvaient pas ou qui n’arrivaient plus à payer leur dette ont quitté les campagnes. Depuis 1991, date d’une précédente grande vague de libéralisation économique, des dizaines de millions de paysans sont partis tenter leur chance dans les grandes villes du pays. Vivant de petits boulots, ils ont été les premières victimes du confinement au printemps, condamnés à crever de faim par les blocages routiers mis en place par l’armée.

Les agriculteurs qui manifestent aujourd’hui contre les réformes, s’ils ne sont pas les plus pauvres, ne veulent pas tomber à leur tour dans la misère noire. Ils craignent de connaître le sort qui a conduit quelque 350 000 paysans indiens au suicide depuis vingt-cinq ans. Déterminés, ils ne se contentent pas de vagues promesses et refusent de lever leurs blocus tant qu’ils n’ont pas obtenu le retrait des lois Modi. Pour l’instant, celui-ci a fait donner sa police et ses canons à eau, ce qui a fait surgir des pancartes proclamant : « nous sommes des paysans indiens, pas des terroristes. »

Les agriculteurs semblent bénéficier d’un large soutien. Il y a celui, plein de calculs, des divers partis d’opposition, y compris le parti du Congrès au pouvoir pendant des décennies, qui ne voient là qu’un moyen d’affaiblir Modi. Il devrait y avoir celui, sincère, des centaines de millions de prolétaires indiens confrontés au même ennemi, le capital.

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