Dans le monde

Haut-Karabakh : un “cessez-le-feu”… qui prépare d’autres conflits

Le 9 novembre, après six semaines de combats et des milliers de morts au Haut-Karabakh, les dirigeants des deux États qui se disputent ce territoire du Sud-Caucase depuis trente ans, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ont signé un cessez-le-feu.

Présenté comme total, il succède à trois autres cessez-le-feu qui n’ont jamais pris effet. Le président russe Poutine, qui l’a parrainé, dit espérer que, cette fois, cela « crée les conditions nécessaires à un règlement durable » dans cette région.

Vu les réactions de part et d’autre, cela n’en prend guère le chemin. Et d’abord parce que cet accord, qui entérine les gains territoriaux des forces azéries au détriment de la république sécessionniste du Haut-Karabakh, ne peut que pousser les feux de l’irrédentisme arménien face aux « envahisseurs » azéris qui, pour leur part, n’ont pas récupéré toutes les terres qu’ils revendiquent.

Dans la capitale arménienne, sitôt connue, la nouvelle a mis le feu aux poudres. La foule a envahi et saccagé le siège du gouvernement et le Parlement, molestant son président et réclamant la démission du « traître », le Premier ministre Nikol Pachinian.

Les dirigeants de ce pays n’ont eu de cesse, depuis la fin de l’Union soviétique, de se disputer le titre de meilleur défenseur de la nation et de fixer comme objectif à la population l’unité derrière les Arméniens du Karabakh. Les échecs militaires de l’actuel gouvernement pourraient sceller son sort. Ironie de l’histoire, Pachinian avait pris le pouvoir en 2018 en surfant sur une révolte populaire contre les équipes dirigeantes de la période soviétique, en leur reprochant de mal défendre le Haut-Karabakh et en promettant de se rapprocher de l’Union européenne. À moins qu’il n’arrive à reprendre la main en déclarant sur un ton guerrier, comme au soir de l’accord : « Nous ne nous reconnaitrons jamais comme vaincus » face à l’Azerbaïdjan.

Aliev, le président azerbaïdjanais, a bien sûr fêté la « capitulation » de l’Arménie sans oublier de s’auto-congratuler : « J’avais dit qu’on chasserait les Arméniens de nos terres comme des chiens, nous l’avons fait. » Faire assaut de nationalisme et de xénophobie lui permettra-t-il d’attacher sa population au char du régime ? En tout cas, c’est le pari que fait Erdogan en Turquie. Ayant aidé l’Azerbaïdjan à l’emporter sur le terrain, il a félicité Aliev, en soulignant tout ce que son succès devait au soutien militaire turc.

L’accord du 9 novembre intervient alors que, Moscou ayant échoué à imposer la fin des hostilités dans son pré carré du Caucase, le ministre américain des Affaires étrangères venait d’organiser des pourparlers avec ses homologues arménien et azerbaïdjanais à Washington. Le Kremlin ne pouvait pas laisser la Maison-Blanche lui tailler des croupières dans son « étranger proche ». D’autant que la Turquie, protectrice de l’Azerbaïdjan, ne demande qu’à renforcer son influence dans la région aux dépens de la Russie.

Celle-ci se voyait en outre menacée d’être entraînée directement dans ce conflit. Des tirs azéris sur l’Arménie venaient d’abattre un hélicoptère russe et son équipage. Et il y avait le bombardement de villes non plus seulement du Haut-Karabakh, mais d’Arménie, un pays lié à Moscou par un traité militaire. À ne pas réagir, le Kremlin risquait d’apparaître comme un allié militaire non fiable. Mais s’il ripostait, il risquait de mettre la main dans un engrenage et d’affronter l’armée turque, et non plus ses seuls supplétifs locaux.

Poutine a tranché le dilemme, en ne laissant d’autre choix à Pachinian que de signer un accord que celui-ci dit « incroyablement douloureux ».

Cet accord, dont on ne connaît pas encore tous les détails, signe les pertes territoriales arméniennes. Certes, il ne refuse pas un Haut-Karabakh arménien séparé de l’Azerbaïdjan, mais il en rend les conditions d’existence encore plus précaires, dans un encerclement militaire quasi total. Quant aux droits des habitants, arméniens, kurdes, azéris, de ce petit territoire et de son pourtour, ils n’ont aucune place dans cet accord.

Autant dire qu’il ouvre un boulevard aux démagogues nationalistes de tout bord. Il prépare le terrain aux confrontations dans lesquelles ils trouveront profitables de lancer les peuples, afin de conforter leur pouvoir, ou dans lesquelles leurs parrains des grandes puissances pourraient entraîner les habitants de ces pays, chair à canon d’intérêts qui ne sont pas les leurs.

Partager