États-Unis : l’élection présidentielle et ce qu’elle traduit04/11/20202020Journal/medias/journalnumero/images/2020/11/2727.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

États-Unis : l’élection présidentielle et ce qu’elle traduit

Le 4 novembre, l’élection présidentielle américaine était encore indécise. On sait que, dans cette grande et très relative démocratie, le président n’est pas élu au suffrage direct, mais par un collège de grands électeurs élus État par État, collège qui se réunira en décembre. Ce système ajoute à l’incertitude.

Dans la plupart des États, la répartition des grands électeurs se fait selon le principe du « winner takes all » (le gagnant prend tout) : le vainqueur dans un État, même avec une marge étroite, emporte tous les grands électeurs de celui-ci, soit par exemple 55 en Californie, 38 au Texas, etc. Certains États votent toujours démocrate, d’autres votent toujours républicain, et la campagne se focalise surtout sur une demi-douzaine d’États-pivots, où le scrutin est indécis.

Par ailleurs, dans chaque État, le nombre de grands électeurs correspond à la somme du nombre de représentants et de sénateurs au Congrès. Or, si le nombre de représentants est proportionnel à la population, tous les États ont deux sénateurs, quelle que soit leur population : le Wyoming (580 000 habitants) en a autant que la Californie (39,5 millions). Le système des grands électeurs avantage donc les États peu peuplés. Les républicains, plus forts dans les États ruraux, sont donc avantagés par rapport aux démocrates. C’est ainsi qu’en 2016 Trump l’avait emporté tout en ayant recueilli trois millions de voix de moins que Clinton à l’échelle des États-Unis.

Une autre incertitude tient au fait que le scrutin est organisé dans chaque État selon des modalités spécifiques ; certains États acceptaient les bulletins par correspondance reçus jusqu’au 6 novembre, soit trois jours après le scrutin. Chaque État doit donc compter et recompter ses voix, surtout dans un scrutin serré comme celui-ci. Ces décomptes relèvent parfois moins de la seule arithmétique électorale que de la bataille politique et juridique. C’est en tout cas le calcul que semble faire Trump, en annonçant qu’il va saisir la Cour suprême. En 2000, George W. Bush avait ainsi bénéficié du concours de cette institution pour coiffer au poteau son concurrent démocrate Al Gore, qui avait obtenu plus de voix que lui.

En tout cas, alors que tous les sondages annonçaient une vague démocrate et un Trump largement distancé, le résultat restait incertain. En 2016, il l’avait emporté avec quelque 63 millions de voix (46 %) ; d’après les premières tendances, il en obtiendrait au moins 70 millions cette fois-ci, avec il est vrai une plus grande participation. Celle-ci, traditionnellement basse aux États-Unis, atteindrait cette fois deux tiers des inscrits. Dans certains États-pivots industriels, traditionnellement démocrates et que Trump avait emportés en 2016, comme la Pennsylvanie, le Michigan ou le Wisconsin, il était encore en mesure de l’emporter, alors que tous les bulletins n’étaient pas dépouillés.

Joe Biden – ce politicien lisse membre de l’establishment depuis près de cinquante ans – ne pouvait pas susciter l’enthousiasme, surtout parmi les classes populaires, victimes des crises sanitaire et économique. Mais ce que montrent aussi les résultats est que l’élection de Trump en 2016 n’était pas un feu de paille. Toute une partie de la population, les entrepreneurs, commerçants, artisans, fermiers, etc., a vu ses impôts baisser et peut s’estimer satisfaite. Et puis la popularité de Trump reflète des tendances politiques de fond, en même temps qu’elle les alimente : la peur de la paupérisation de nombreux travailleurs, en tout cas parmi les Blancs, le repli individualiste, le chauvinisme, peut-être aussi la xénophobie et le racisme, alimentés par Trump comme dérivatifs à ces peurs.

En juin dernier, des dizaines de millions d’Américains ont manifesté contre le racisme et les violences policières. Mais des dizaines de millions d’autres ne l’ont pas fait, et certains ont à l’inverse exprimé leur soutien à la police, la loi et l’ordre. Les milices d’extrême droite, qui se sont manifestées ces dernières semaines, sont évidemment une petite minorité, mais ce qu’elles expriment traverse toute la société. Et, que Trump reste finalement à la Maison-Blanche ou pas, ses succès électoraux et la base politique qu’ils traduisent montrent que la population et la classe ouvrière elle-même sont divisées, entre Américains et migrants, entre Blancs et Noirs, etc. Ces divisions sont lourdes de menaces pour tous les travailleurs.

Il est commun, parmi les journalistes et les responsables politiques, en France et en Europe, de se gausser de la stupidité et de la grossièreté de Trump, et il y a en effet de quoi. En même temps, les votes pour ce démagogue expriment un courant réel et des idées réactionnaires bien présentes dans l’opinion. Elles ne sont pas spécifiques aux États-Unis, comme on le voit avec les différents courants de droite et d’extrême droite qui se manifestent de ce côté-ci de l’Atlantique. Pour opposer une digue au danger qu’ils représentent, il faudra bien autre chose que des politiciens bourgeois à la Biden… ou à la Macron.

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