Nigeria : révolte contre la répression et le système28/10/20202020Journal/medias/journalnumero/images/2020/10/2726.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Nigeria : révolte contre la répression et le système

Depuis maintenant trois semaines, des milliers de jeunes manifestent au Nigeria pour protester contre les violences policières. Ils bravent les forces de répression qui n’hésitent pas à ouvrir le feu et ont déjà fait plus de soixante-dix morts.

Le 3 octobre dernier, une vidéo largement diffusée par les réseaux sociaux montrait des policiers de la Brigade spéciale de répression des vols (SARS) abattant un homme dans le sud du pays. Des milliers de témoignages ont aussitôt afflué pour dénoncer les violences policières, repris sur le hashtag #End SARS (en finir avec la SARS) et, dès le 8 octobre, une manifestation se déroulait à Ughelli, la ville où les hommes du SARS avaient perpétré leur crime. La répression policière impitoyable, faisant deux morts, ne fit que mettre de l’huile sur le feu. Dès le lendemain, le mouvement s’étendait dans les grandes villes du pays, à tel point que le président Mohammadu Buhari annonçait le 11 la dissolution des SARS et leur remplacement par une nouvelle brigade, la SWAT, ce qu’il appelait une réforme de la police.

Cette tentative de mettre fin au mouvement par un simple changement de nom a fait long feu, comme d’ailleurs les menaces de l’armée se disant prête à faire respecter la loi et l’ordre et le couvre-feu qui s’ensuivit. Les manifestations ont repris, plus nombreuses encore, dans les principales villes, et notamment à Lagos, la capitale économique du pays et la plus grande ville du continent africain, une métropole de plus de 20 millions d’habitants. Le mouvement a culminé mardi 20 octobre. Ce jour-là les manifestants, descendus une nouvelle fois dans la rue, ont affronté les forces de répression qui ont ouvert le feu, faisant une douzaine de morts au péage de Lekki, dans le sud de la ville.

Les manifestants ne supportent plus la criminalité policière endémique au Nigeria. Les forces de répression se payent en rackettant les passants aux points de contrôle qui quadrillent la ville. Il faut sortir son argent sous peine de voir sa voiture ou son moto-taxi réquisitionné et confisqué. Toute protestation peut être suivie de passage à tabac, de tortures et finalement d’une exécution sommaire.

Dans plusieurs villes, la révolte populaire a débouché sur des émeutes de la faim. Des milliers de personnes ont pénétré de force dans les hangars contenant l’aide alimentaire. La population n’avait jamais vu la couleur de ces aliments destinés aux familles touchées par l’épidémie de Covid-19, et s’est donc servie directement. Elle accuse les autorités d’avoir détourné cette aide à son profit.

La mobilisation de la jeunesse contre la police et un système corrompu survient alors qu’une crise économique dramatique frappe aujourd’hui la population, dont 70 % vit sous le seuil de pauvreté, selon l’ONG Oxfam. En septembre dernier, à l’instigation du FMI et de la Banque mondiale, le prix de l’électricité a doublé et les subventions pour l’essence ont été supprimées, entraînant une hausse importante des prix à la pompe. Dans ce pays qui est le premier producteur de pétrole d’Afrique mais ne possède pas de raffinerie, la population pauvre en est souvent réduite à siphonner les pipe-lines, au risque d’explosions meurtrières. La fermeture des frontières liée à la crise sanitaire, ainsi que la hausse des transports, ont de leur côté entraîné une hausse des prix des produits alimentaires. Ceux-ci ont augmenté de 15 % en un an : poulet, manioc, riz, tout est plus cher.

Pendant que les jeunes n’ont aucun emploi et que des millions de pauvres peinent à survivre, les politiciens au pouvoir et les grands chefs de l’armée accumulent des fortunes colossales, au côté de quelques capitalistes locaux comme le roi du ciment Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique, très lié au pouvoir. Quant aux trusts internationaux, à commencer par les compagnies pétrolières, ils sont les premiers à profiter de la corruption du régime et à l’alimenter.

Aujourd’hui, les jeunes et la population pauvre ne supportent plus ce système pourri et sont entrés en lutte contre les forces de répression qui le protègent.

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