Dans le monde

Biélorussie : la grève, l’opposition et les travailleurs

L’opposition démocratique au président biélorusse Loukachenko, comme elle se désigne désormais, avait appelé à manifester le 25 octobre. Elle le fait chaque dimanche, mais cette fois elle lui avait posé un ultimatum : il devait libérer tous les prisonniers politiques, mettre fin aux violences policières et quitter le pouvoir avant le soir.

Sans surprise, Loukachenko a répondu, comme depuis plus de deux mois, en jetant ses forces antiémeutes sur les manifestants à Minsk, la capitale. L’opposition a donc maintenu son ordre de grève générale pour le lendemain, 26 octobre.

Depuis des semaines, la cheffe de l’opposition, ex-candidate à la présidentielle falsifiée du 9 août, Svetlana Tikhanovskaïa, a multiplié les adresses, depuis son exil en Lituanie, à ceux qu’elle appelle ses « chers travailleurs des usines et des entreprises ». Elle leur dit : « Parlez plus de vos victoires ! (…) Regroupez-vous, partagez vos succès et continuez votre lutte, ce n’est qu’ainsi que vous pourrez rétablir la loi et sauver votre entreprise, menacée par le régime. (…) Les Biélorusses savent tous combien votre grève est essentielle. »

Alors que le régime a su juguler le mouvement gréviste de l’été, l’opposition libérale et ses porte-parole essaient depuis des semaines d’entraîner la classe ouvrière derrière eux, sur leur terrain politique et social. Sans elle, ils ne peuvent pas grand-chose, car elle englobe la majorité des dix millions de Biélo­russes. Surtout, elle occupe une place décisive dans la marche de ce pays, où 70 % des entreprises restent étatisées, avec des combinats à la soviétique qui concentrent chacun jusqu’à des dizaines de milliers de travailleurs.

Or, si la grève du 26 octobre a été très suivie dans l’enseignement, les petites entreprises privées et la Silicon Valley biélorusse (50 000 emplois privés dans la high tech), ce n’est pas le cas dans la grande industrie. Il y a eu des débrayages, des grèves du zèle, mais rien de comparable aux grèves ouvrières qui, en août, ont ébranlé le pouvoir.

Les directions des entreprises, plutôt que de s’opposer de front au mouvement, manœuvrent pour l’émietter. À cela s’ajoute la crainte de la répression et des licenciements, le fait que, malgré des mois de contestation, le pouvoir ne faiblit pas. Tout cela a joué contre la grève auprès d’ouvriers qui, ils l’ont montré, ne portent pas le régime dans leur cœur. Mais les travailleurs sentent aussi que, si le régime n’est pas leur ami, cette opposition, dominée et soutenue ouvertement par la petite bourgeoisie et certains milieux d’affaires, ne l’est pas non plus.

Le jour de la grève, un animateur de ce qui fut le comité de grève de MTZ (la principale usine de Minsk) cet été, emprisonné alors pour cela, et membre du Comité de coordination (l’état-major de l’opposition), s’est rendu en Pologne. Il y a rencontré Lech Walesa, l’ancien leader des grèves de l’été 1980 qui avaient fait reculer le régime des bureaucrates polonais et donné naissance au syndicat indépendant Solidarnosc. Il s’agissait, selon ses mots, de recueillir « son expérience sur la façon d’organiser le mouvement gréviste ». Mieux vaudrait dire, de le dévoyer. Car Walesa, qui s’est vanté d’avoir voulu dès 1980 rétablir le capitalisme dans son pays, est devenu quelques années plus tard président de la Pologne des privatisations, des licenciements massifs. Il a eu l’aide de dignitaires du régime dit socialiste, tel le général Jaruzelski, de l’épiscopat, des milieux de l’intelligentsia et de la petite bourgeoisie d’affaires, ainsi que de cadres de Solidarnosc.

Ce n’est pas des conseils de ces gens-là, ni de leurs perspectives réactionnaires que les ouvriers biélorusses ont besoin pour lutter contre le régime policier de Loukachenko sans tomber sous la coupe de forces sociales et politiques qui ne vaudraient pas mieux.

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