États-Unis : pouvoirs et limites d’une institution de la bourgeoisie30/09/20202020Journal/medias/journalnumero/images/2020/09/2722.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

États-Unis : pouvoirs et limites d’une institution de la bourgeoisie

Le 26 septembre, Trump a désigné Amy Coney Barrett pour siéger à la Cour suprême. Cette catholique pratiquante, mère de sept enfants, qui considère que sa carrière est un moyen de servir une cause, « construire le Royaume de Dieu », est connue pour ses idées ultra-réactionnaires et son opposition à l’avortement.

Le Sénat, dominé par les républicains, doit encore donner son accord à l’installation de cette juge.

Les neuf membres de la Cour suprême sont nommés à vie, et Barrett pourrait donc siéger pendant quarante ans. La gauche américaine et les militantes féministes redoutent donc cette nomination. Cela tient notamment au rôle de la Cour suprême, dotée de larges prérogatives, notamment sur les questions de société. C’est par exemple un arrêt de la Cour suprême qui avait légitimé la ségrégation raciale en 1896. C’est un autre arrêt qui, en 1954, l’a rendue illégale. En 1973, l’arrêt Roe contre Wade a légalisé le droit des femmes à avorter. Les féministes opposent Barrett à Ruth Bader Ginsburg, qui était devenue un symbole de la lutte contre les discriminations et qui vient de décéder à l’âge de 87 ans.

En réalité, comme le rappelle le journal trotskyste américain The Spark dans un article du 28 septembre, la vie de Ginsburg illustre aussi le fait qu’on ne peut compter sur les tribunaux, aussi puissants soient-ils, pour protéger les droits des travailleurs, des femmes et des opprimés. Quand, en 1959, elle fut diplômée en droit de Harvard, il n’y avait dans sa promotion que neuf femmes sur 500 élèves. Et le doyen de la faculté demandait à chacune des étudiantes pourquoi elle pensait mériter de prendre l’emploi d’un homme. Aucune entreprise, école de droit ou cour de justice ne voulut d’ailleurs embaucher Ginsburg. Mais dans les années 1960, les choses changeaient : la révolte des Noirs et le mouvement contre la guerre du Vietnam mobilisaient des millions de gens. Des soulèvements avaient lieu dans les prisons, l’armée elle-même était gagnée par la contestation, et les femmes se mobilisaient pour l’égalité des droits.

Ces mobilisations apportaient des idées nouvelles et des expériences qui amenèrent Ginsburg à s’attaquer aux discriminations légales. En 1971, elle contesta une loi de l’Idaho qui considérait que les hommes étaient plus qualifiés que les femmes pour gérer les testaments. Devant la Cour suprême, Ginsburg cita Sarah Grimke, une pionnière du combat pour l’abolition de l’esclavage et pour les droits de femmes, qui écrivit en 1837 : « Je ne demande pas de faveurs pour mon sexe… Tout ce que je demande à nos frères est qu’ils enlèvent leurs pieds de nos cous. » Les juges de la Cour suprême, sous la pression des mobilisations féministes, lui donnèrent raison.

Un certain nombre de dispositions sexistes furent donc remises en cause dans l’administration et dans les entreprises. L’Église catholique et les fondamentalistes religieux servirent de troupes de choc, attaquant l’égalité des droits au nom des valeurs familiales ou traditionnelles. Ils ciblèrent la décision Roe contre Wade, qui légalisait l’avortement. Cet arrêt n’avait pas été adopté grâce aux démocrates, comme ils l’ont ensuite revendiqué. Parmi les sept juges favorables à l’arrêt, cinq avaient été nommés par des présidents républicains. Mais leurs décisions étaient prises sous la pression d’immenses mobilisations.

Au milieu des années 1970, les mouvements sociaux reculaient et les politiciens s’attaquaient à ces droits. En 1976, démocrates et républicains adoptèrent l’amendement Hyde, qui interdisait au gouvernement de financer les avortements.

Quand en 1993 Bill Clinton nomma Ginsburg, en faisant la seconde femme membre de la Cour suprême, le droit à l’avortement et d’autres droits acquis dans les années 1960 étaient attaqués. Elle-même avait évolué vers la droite, sous couvert de consensus avec les conservateurs dans le système judicaire. Sur de nombreuses questions, y compris les restrictions des droits des prisonniers, elle fut du côté des conservateurs. En 2011, elle apporta sa voix à une décision unanime, prise pour des raisons techniques, contre des travailleuses qui attaquaient le géant de la distribution Walmart pour discrimination sexuelle. En juin dernier, elle vota en faveur des efforts de l’administration Trump pour l’expulsion des sans-papiers.

Mais la Cour suprême avait tant viré à droite que Ginsburg se trouva en minorité à de nombreuses occasions. À la fin de sa vie, elle devint célèbre pour ses opinions dissidentes sur des arrêts relatifs aux discriminations, ce qui fit oublier toutes les fois où elle avait voté avec les conservateurs contre les droits des minorités et des travailleurs.

Aujourd’hui, bien des gens redoutent les conséquences de la mort de Ginsburg et de la nomination de Barrett. Mais si l’histoire de la Cour suprême prouve quelque chose, c’est ce que les droits ne dépendent pas tant de la composition de la Cour que du rapport des forces dans le pays, et notamment entre les classes, entre capitalistes et travailleurs.

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