Russie : Poutine, son référendum et sa présidence à vie01/07/20202020Journal/medias/journalnumero/images/2020/07/2709.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Poutine, son référendum et sa présidence à vie

Du 25 juin au 1er juillet, 110 millions d’électeurs russes étaient appelés à approuver des modifications à la Constitution voulues par le Kremlin. La plus importante, en fait la seule qui importe vraiment à Poutine, lui permettra de rester à la tête du pays jusqu’en 2036. Cela repousse de douze ans ce que la loi fixait comme terme à ses mandats successifs, depuis qu’en août 1999 il avait pris la tête du gouvernement, puis reçu de son prédécesseur, Eltsine, le titre de président.

Le Parlement russe a déjà entériné cette quasi-présidence à vie de Poutine. Celui-ci aurait donc pu se dispenser d’en passer par les urnes, s’il n’avait recherché l’onction d’une approbation populaire à ces changements, et plus encore à sa personne de chef du régime. C’est pourquoi le pouvoir – qui ne parle que de « votation populaire » – a tout mis en œuvre pour que l’opération soit un succès.

Le Kremlin voulait que ce plébiscite ait lieu en avril, juste avant le 75e anniversaire de la victoire soviétique dans la « Grande guerre patriotique » contre l’Allemagne. Le 9 mai, de gigantesques défilés militaires et festivités publiques auraient dû fournir le cadre à l’apothéose du maître du Kremlin. Las, le coronavirus a joué les trouble-fêtes.

Un mois et demi plus tard, et bien que l’épidémie continue à ravager la Russie, le pouvoir a ressorti son scénario. Le 24 juin, il organisait des parades dans tout le pays pour le Jour de la Victoire et, dès le lendemain, il lançait les opérations de vote.

Pour, selon lui, éviter les risques sanitaires, le gouvernement a ouvert de nombreux bureaux de vote décentralisés, en plein air, dans les lieux les plus improbables des bourgades et villages. Ce qui devait rassurer les électeurs avait surtout pour but d’en battre le rappel, car tous les sondages les disaient indifférents au cirque électoral poutinien. On l’a bien vu dans les grandes villes où, comme à l’habitude, le pouvoir a organisé des tombolas avec des lots aussi alléchants que des voitures, voire des appartements, mais toujours dans les bureaux de vote. Sans oublier les habituelles pressions pour que les électeurs aillent voter, « comme il faut » bien sûr : propagande permanente pour le « oui » dans les rues, les halls d’immeubles, à la télévision ; rappels quotidiens de dizaines de millions d’électeurs sur leurs smartphones par les centres d’organisation des élections ; menaces ouvertes contre les récalcitrants dans les entreprises, et d’abord dans celles du secteur parapublic et étatique, qui emploient la majorité des travailleurs…

Pour faire bonne mesure, l’allongement de la présidence offert à Poutine a été enrobé d’autres modifications constitutionnelles destinées à ratisser large : dans l’électorat âgé ; parmi les personnes ayant les plus bas salaires ; chez les plus nationalistes, dans la variante tsariste comme dans la variante stalinienne ; parmi les culs-bénis, les homophobes, les adversaires de l’avortement, etc.

Avec tout cela, il n’y avait donc guère de risque que Poutine n’obtienne pas ce que de Gaulle – autre grand amateur de plébiscites – appelait un « oui franc et massif ». D’autant plus que les organisateurs de cette farce peuvent toujours, comme ils savent si bien le faire, corriger à leur guise les résultats d’un scrutin.

Mais rien ne dit que cela redressera durablement la cote du pouvoir, et celle de Poutine qui l’incarne depuis deux décennies, une cote mise à mal dans la population par les effets de la crise économique et les attaques récentes du pouvoir contre les salariés et les retraités.

Des déclarations récentes de Poutine laissent entendre que sa réforme de la Constitution doit faire taire les spéculations sur sa succession. Il pourrait donc s’agir aussi de calmer les ardeurs de ceux qui se verraient bien succéder au chef de la haute bureaucratie affairiste russe qu’est Poutine. Resserrer les rangs au sommet du régime pourrait être nécessaire alors que, la situation sociale risquant de se dégrader rapidement, cela pourrait peut-être inciter la classe ouvrière russe à compter sur ses propres luttes pour changer son sort.

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