États-Unis : colère populaire et manœuvres politiciennes17/06/20202020Journal/medias/journalnumero/images/2020/06/2707.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

États-Unis : colère populaire et manœuvres politiciennes

Trois semaines après la mort de George Floyd à Minneapolis, et après que des centaines de milliers de personnes ont manifesté contre le racisme et les violences policières, la colère n’est pas retombée. Vendredi 12 juin, elle a été ravivée par le meurtre de Rayshard Brooks par la police d’Atlanta.

Cet homme noir, père de quatre enfants, s’était endormi dans sa voiture sur le parking d’un fast-food. Interpellé, il s’est soumis à un alcootest positif et s’est débattu quand, alors qu’il avait proposé de rentrer à pied et n’était pas armé, les policiers ont voulu le menotter. Il a réussi à s’emparer du Taser d’un des policiers et à s’enfuir, et ceux-ci ont tiré quatre fois sur lui et l’ont tué.

La scène ayant été filmée, des manifestations ont éclaté à Atlanta, où la population est majoritairement noire, et le fast-food où Brooks été tué a été incendié. Le policier meurtrier a été révoqué et son collègue mis en congé – alors que, comme l’a dit l’épouse de Brooks, ce dernier aurait été condamné à la prison à vie s’il avait tué un policier. La cheffe de la police d’Atlanta a démissionné, et cette affaire montre une fois de plus combien l’appareil d’État est incapable de maîtriser sa propre police.

En Californie, de forts soupçons de meurtre planent aussi sur les décès de deux hommes noirs retrouvés pendus à des arbres, à 50 km et dix jours d’écart.

Les démocrates à la manœuvre

En fustigeant les manifestants antiracistes et en appelant à tirer sur ceux qui pillaient des magasins, sans jamais avoir un mot de sympathie pour George Floyd et sa famille, Trump n’a voulu s’adresser qu’à sa base électorale. Mais il est possible qu’il ait en partie manqué son coup. Certes, l’extrême droite s’est réjouie de ses propos. Mais un sondage montre que 70 % des Américains, et donc toute une partie des électeurs de Trump, considèrent qu’il y a dans le pays un vrai problème de racisme dans la police. Les dirigeants démocrates ont adopté une autre posture, voulant montrer de l’empathie pour la famille de Floyd, participant aux manifestations et mettant un genou à terre aussi souvent que nécessaire. Cette attitude semble aujourd’hui payante, le candidat Joe Biden ayant progressé dans les sondages ces dernières semaines.

Les démocrates portent pourtant une responsabilité écrasante dans la condition des Noirs américains. Des démocrates dirigent de grandes villes où les violences policières sont la norme, comme Los Angeles, New York, Chicago ou Minneapolis. Ils dirigent également de nombreux États. À Minneapolis, municipalité démocrate, Derek Chauvin, le policier qui a étouffé George Floyd, avait fait l’objet de 17 plaintes, dont plusieurs pour des violences caractérisées ; il n’avait reçu que deux lettres de réprimande. Et le cas de Chauvin n’est pas isolé. Au cours des huit dernières années, 3 000 plaintes avaient été déposées contre la police de Minneapolis, sans sanction dans neuf cas sur dix. Des procureurs ont souvent refusé de poursuivre des policiers violents. Amy Klobuchar, aujourd’hui sénatrice et ex-candidate aux primaires démocrates, était procureure à Minneapolis, où elle a refusé de poursuivre des policiers à de multiples occasions, dont justement Derek Chauvin, impliqué dans la mort d’un homme en 2006.

Joe Biden attend son heure

Le démocrate Joe Biden a pour sa part beaucoup contribué à l’emprisonnement massif de millions de pauvres, des Noirs en particulier. Avec 2,2 millions de prisonniers, soit proportionnellement six fois plus qu’en France, les États-Unis sont un des pays les plus répressifs au monde. Et les Noirs, qui comptent pour 12 % de la population, représentent 37,5 % des prisonniers. L’augmentation spectaculaire de la population carcérale a commencé dans les années 1970, sous Nixon, sous couvert de guerre contre la drogue , et s’est poursuivie au cours des années 1980 et 1990. En 1989 Biden, alors sénateur, critiquait George W. Bush au motif que son plan de lutte contre la drogue n’était pas assez dur, et il proposait de traduire en justice chaque consommateur. En tant que président de la commission judiciaire du Sénat, il a rédigé ensuite plusieurs lois en ce sens. En 1994, sous Clinton, il défendit une nouvelle loi répressive qui contribua encore à de nouvelles incarcérations. Aujourd’hui, Biden postule à la présidence du pays, avec des chances de l’emporter. Si Trump est un défenseur acharné des intérêts de la bourgeoisie, celle-ci a d’autres cartes dans sa main. Ces dernières semaines, plusieurs hauts cadres militaires, dont le chef d’état-major, ont désavoué le président, qui voulait recourir à l’armée face aux manifestations, essentiellement pacifiques, contre les violences policières. D’anciens dirigeants de la CIA et de l’armée ont pris position contre Trump, se payant le luxe de se poser en protecteurs du peuple et d’expliquer, sans rire, que « L’Amérique n’est pas un champ de bataille... » et que « Nos concitoyens ne sont pas l’ennemi .»

Cela fait longtemps que le système politique américain fonctionne sur la base de l’alternance : quand un parti est discrédité, un autre le relaie pour gérer les affaires de la bourgeoisie. Cela peut permettre de canaliser la colère et la révolte contre l’injustice à l’intérieur des institutions, sans les remettre en cause. Biden et les démocrates en profiteront peut-être, mais les classes populaires n’ont rien à attendre d’eux.

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