Dans le monde

Inde : diviser et assassiner pour régner

Entre le 23 et le 26 février, des bandes de nationalistes religieux hindous ont ravagé les quartiers musulmans de la capitale indienne, Delhi.

Quand l’armée a fini par intervenir, après avoir détourné le regard trois jours durant, c’est pour isoler des quartiers dévastés, faire évacuer des milliers de blessés vers les hôpitaux, permettre de compter les morts. On en dénombre à ce jour 45, mais il reste probablement des corps dans les décombres et les cours d’eau.

Ce véritable pogrome est la conséquence directe de la politique du gouvernement nationaliste du Premier ministre, Modi. Son parti, le BJP, doté d’une milice qui fait profession de terroriser, voire d’assassiner les musulmans, a conquis le pouvoir en cultivant la haine de la minorité musulmane, 200 millions d’individus sur le 1,3 milliard que compte l’Inde. Il ne s’agit pas seulement de propagande orale ou électorale : lorsque Modi était gouverneur de l’État de Gujarat, des émeutes antimusulmans y firent des centaines de morts, peut-être 2 000, entre mars et juin 2002. Modi condamna mollement les violences, mais tout montrait que son parti en était l’inspirateur.

Arrivé au pouvoir en 2014, Modi a été réélu en mai 2019 sur un programme de fuite en avant nationaliste. Depuis l’été dernier son gouvernement promeut, pour la première fois depuis l’indépendance de 1947, des lois fondées sur la religion et visant à transformer les musulmans en citoyens de seconde zone, voire en non-citoyens. L’État met en place un registre de population, sur lequel les habitants doivent se faire inscrire en prouvant leur nationalité indienne. Ceux qui ne peuvent pas le faire faute de papiers, et ils sont extrêmement nombreux dans ce cas, doivent demander à acquérir la qualité de citoyen indien. Or une deuxième loi rend cette acquisition quasi automatique pour tous, à condition de ne pas être musulman. Le problème se pose avant tout dans les régions frontalières, où résident, parfois depuis des dizaines d’années, des familles venues du Pakistan, du Bangladesh, d’Afghanistan. Mais il se posera aussi, à terme, pour des populations musulmanes qui n’ont jamais vécu ailleurs qu’en Inde, depuis aussi longtemps qu’on se souvienne.

Cet arsenal législatif a soulevé de nombreuses protestations. Elles ne viennent pas seulement des musulmans sans papiers directement visés, ni même des musulmans en général, mais aussi de tous ceux qui refusent qu’on divise le pays suivant des critères religieux. Le gouvernement a fait donner la police et les milices nationalistes contre les manifestants, contre des femmes qui occupent une rue à Delhi, contre les étudiants qui protestent à l’université, etc.

Le conflit a pris un tour aigu, durant la campagne électorale en vue du renouvellement du gouvernement de la région capitale, le 8 février. Le parti au pouvoir, dans l’opposition à Delhi, voulait inaugurer par une victoire la série des élections régionales prévues pour l’année qui vient, en recourant pour cela à sa tactique habituelle, consistant à attiser et organiser la haine antimusulmans. Mais, malgré la démagogie nationaliste et le flot d’injures racistes déversées par le BJP, au point que les tribunaux ont interdit de parole certains de ses représentants, le gouverneur sortant a été réélu et sa politique non discriminatoire approuvée. Mais la machine était lancée et, quand le pogrome a éclaté le 23 février, Modi et son ministre de l’Intérieur ont eu encore la même attitude. Ils ont déploré les événements dans des paroles à l’attention de ceux qui veulent bien les croire, notamment à l’étranger, mais ils ont montré à leur base qu’ils soutiennent les assassins.

Cette façon de prendre et de conserver le pouvoir a bien des précédents et des équivalents. Elle montre, avec un peu d’avance sur l’Europe d’aujourd’hui et un peu de retard sur celle d’hier, où peut conduire le racisme d’État. Le gouvernement Modi n’en conserve pas moins le soutien de tous les grands pays capitalistes et l’Inde est toujours présentée comme « la plus grande démocratie du monde » par les diplomates. Trump, par exemple, en visite dans le pays au moment des pogromes, n’en a pas dit un mot mais a serré Modi sur son cœur et son portefeuille.

Le fait est que le principal groupe industriel et financier indien, le groupe Tata, soutient Modi, que l’armée indienne s’équipe entre autres chez Dassault et que tout le gratin des trusts mondiaux a pignon sur rue dans le pays, pour exploiter la misère. Et c’est bien tout ce qui compte pour les grands de ce monde.

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