Algérie : marées humaines contre le président18/12/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/12/2681.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Algérie : marées humaines contre le président

En Algérie, l’élection présidentielle du 12 décembre a donné lieu à une semaine intense de contestation populaire.

Dès vendredi 13 décembre, des marées humaines ont conspué Abdelmadjid Tebboune, le nouveau président de la République fraîchement élu. Son élection est vécue comme une mascarade, qui vise à préserver un système politique que les manifestants combattent depuis maintenant dix mois.

Le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah, qui annonçait par avance une participation massive et une fête électorale le 12 décembre, a subi un désaveu cinglant. À travers le pays, de nombreux bureaux de vote sont restés déserts. En Kabylie, où le boycott a été très actif, certains sont restés fermés. Selon les chiffres annoncés par le pouvoir, l’abstention atteindrait 60 %, mais beaucoup sont convaincus qu’elle a été bien supérieure et que les chiffres ont été truqués.

« Vous n’êtes pas notre président ! » ont crié les manifestants. Ils rejettent massivement Tebboune, qu’ils considèrent comme un président désigné et illégitime. Âgé de 74 ans, il a occupé de multiples fonctions au sein de l’appareil d’État, préfet, ministre de l’Habitat, puis Premier ministre de Bouteflika. Connu pour être un proche de Gaïd Salah, il est apparu comme un candidat de l’armée et comme la façade civile d’une caste d’officiers toujours aux manettes. Ces officiers tiennent à la stabilité d’un système qui leur permet un accès direct à la rente pétrolière, dont ils contrôlent les circuits de redistribution. Pour l’instant, ils ont évité de recourir à une répression sévère, à l’image de ce qui s’est passé au Soudan ou en Irak, mais cela n’est pas exclu.

Dans de nombreuses villes de l’ouest du pays, en particulier à Oran, des gendarmes et policiers en civil ont procédé à des centaines d’arrestations. Il s’agissait d’empêcher les manifestations du 13 décembre et de tenter d’affaiblir et d’intimider le mouvement, dans une région où la mobilisation a toujours été moins forte que dans la capitale.

Le soir même, Tebboune a tenté d’amadouer le mouvement populaire, le hirak. Il a dit vouloir rompre avec l’ancien système et a salué la jeunesse, aussi bien celle qui avait voté que celle qui avait boycotté le scrutin. Devant un parterre de journalistes, il a déclaré : « Je m’adresse directement au hirak, que j’ai à maintes reprises qualifié de béni, pour lui tendre la main afin d’amorcer un dialogue sérieux au service de l’Algérie, et seulement de l’Algérie. »

Celui que l’armée veut présenter comme un homme intègre est surnommé « président cocaïne » par les manifestants, en raison de l’implication de son fils dans le grand scandale de corruption qui a éclaté en 2018, après à la saisie de 700 kg de cocaïne. Alors Tebboune sera-t-il capable d’enrayer la contestation populaire ? Des associations, partis ou syndicats ont annoncé qu’ils n’excluaient pas de saisir cette main tendue, sous condition. Mais depuis le 22 février, aucun des regroupements politiques, comme le Pacte de l’alternative démocratique ou la Dynamique de la société civile, n’a pu prétendre représenter le mouvement et parler en son nom.

C’est une nouvelle étape qui commence, le Hirak saison II, comme le disent avec humour les manifestants. Ils auront face à eux un pouvoir qui tentera par tous les moyens d’étouffer la contestation, et des partis d’opposition prêts, si celui-ci y met les formes, à jouer le jeu du dialogue.

Quelles que soient les manœuvres des uns et des autres, les raisons de la contestation sont toujours là, bien présentes : un pouvoir méprisant et impopulaire, des services publics à l’abandon, un chômage de masse et des salaires de misère. « Pas de marche arrière ! » crient de nombreux manifestants. Le pouvoir est loin d’en avoir fini avec cette mobilisation, exceptionnelle par son ampleur et sa durée.

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