Le 9 novembre 1989 : la chute du mur de Berlin et la fin de la RDA13/11/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/11/2676.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 30 ans

Le 9 novembre 1989 : la chute du mur de Berlin et la fin de la RDA

Il y a trente ans, en novembre 1989, alors que depuis l’été plus de 100 000 citoyens d’Allemagne de l’Est avaient fui à l’Ouest, dans les principales villes du pays ceux qui avaient choisi de rester étaient toujours plus nombreux à manifester contre le régime. Finalement, le 9 novembre, les autorités de RDA (République démocratique allemande) annoncèrent que chacun avait désormais le droit de se rendre à Berlin-Ouest.

Le mur de Berlin, avec ses miradors et barbelés, sinistres vestiges des marchandages sur le dos des peuples entre puissances victorieuses, tombait enfin.

L’émotion était infinie et, en quelques jours, trois millions d’Allemands de l’Est passèrent de l’autre côté, afin d’utiliser leur nouveau droit et de jeter un coup d’œil à ce pays si proche vu comme un eldorado. Les manifestants ne réclamaient pas alors l’unification, mais la chute du régime corrompu et les droits démocratiques : s’exprimer, se réunir, voyager et voter librement. Une partie aspiraient même à un vrai socialisme .

Mais les dirigeants ouest-allemands engagèrent immédiatement l’unification, et avec elle la liquidation pure et simple de la RDA. Par la suite, ils présentèrent une vision très unilatérale de ce pays, n’en retenant que l’État policier, la surveillance généralisée par la Stasi (la Sécurité d’État) ou la pénurie de biens de consommation.

Leur autre argument repoussoir concernait l’économie du pays, décrite comme vétuste sinon moribonde, incapable de survivre dans le « libre marché capitaliste ». Cela fut répété à satiété pour servir d’explication à l’effondrement de l’économie est-allemande qui eut lieu dès 1990, et plus généralement pour discréditer toute velléité de planification ou d’étatisation. Le discours des vainqueurs fut mis au service d’un anticommunisme primaire.

Aujourd’hui, la crise et la montée rapide du parti d’extrême droite AfD, qui se fait passer à l’Est pour le porte-parole des perdants de l’unification, ont amené les journalistes à tenir un autre discours.

Certains évoquent la disparité persistante des salaires, des retraites, des niveaux de chômage et de précarité entre les deux parties de l’Allemagne. Plus gênant pour l’image de leur démocratie, un grand hebdomadaire titrait au mois d’octobre que « pour la majorité des Allemands de l’Est, même l’arbitraire étatique n’était pas pire en RDA qu’aujourd’hui ». Alors, cette année, les festivités ne revêtent pas tout à fait les accents triomphants des cérémonies passées.

Le régime de la RDA était certes une odieuse dictature antiouvrière, qui se réclamait frauduleusement du communisme et du socialisme, et qui en a dégoûté les travailleurs. La Stasi, vomie par la population, avait des antennes partout, quadrillait tout, faisait incarcérer les opposants. Mais on entend un peu davantage ceux qui disent que la société est-allemande ne se réduisait pas à cela.

Des retraités rappellent qu’alors tout le monde avait un emploi, la sécurité, un appartement. Des travailleuses expliquent que, pour elles, le problème le plus grave n’est pas de faire la queue ou de ne pas obtenir un jeans, mais de ne pas savoir comment subvenir aux besoins les plus essentiels, de voir ses enfants envoyer cent lettres de motivation sans obtenir de place en apprentissage... D’autres rappellent les places en crèche en nombre suffisant, la gratuité de la médecine, des études ou de la culture, et jugent que la société d’alors était moins atomisée qu’aujourd’hui et plus solidaire.

L’effondrement économique de 1990, loin d’être inéluctable, fut provoqué sciemment. Intégrée dans le bloc de l’Est, qui absorbait 60 à 80 % de ses exportations, l’économie de la RDA faisait partie d’un tout. Le choc décisif vint de l’union monétaire à parité, décidée début 1990 et présentée par Helmut Kohl, le chancelier CDU de la RFA, comme un magnifique cadeau, puisque le mark de l’Ouest valait 4,4 marks de l’Est. Des économistes mirent en garde, mais ne furent pas entendus.

Et pour cause, car il s’agissait de provoquer l’écroulement de l’économie de la RDA : du jour au lendemain, les prix de ses marchandises et services bondissaient de 300 à 400 %, dès lors inaccessibles à ses habituels clients des pays de l’Est. Aucune économie n’aurait supporté d’être coupée du jour au lendemain de ses débouchés habituels.

Parmi ceux qui critiquent aujourd’hui les choix de l’époque, la plupart parlent de précipitation ou d’erreurs. Au contraire, il s’agissait d’une volonté politique consciente : par l’union monétaire, les dirigeants ouest-allemands menaient une politique du fait accompli, qui rendait l’unification inéluctable. Des dizaines de rapports avaient détaillé, à l’avance, les conséquences de ces choix. Wolfgang Schäuble, ministre de l’Intérieur de la RFA, tenait début 1990 des propos dénués d’ambiguïté : « Chers amis, il s’agit d’une entrée de la RDA dans la République fédérale, et pas du contraire. (...) Ce qui se déroule ici n’est pas l’unification de deux États égaux

Dès mars 1990, un organisme géant, la Treuhand, fut créé pour privatiser l’économie. Elle reçut la propriété de la totalité des entreprises et biens d’État, 8 000 combinats et sociétés, représentant près de la moitié de la population active du pays : 4,1 millions de salariés. Elle permit le dépeçage et le saccage de l’industrie est-allemande, accompagnés de malversations et de scandales multiples. Dès août 1990, la production industrielle chutait de 52 % par rapport à l’année précédente. Des mines compétitives, des entreprises exportatrices qui risquaient de faire concurrence à celles de l’Ouest furent rachetées pour une bouchée de pain puis immédiatement fermées. C’est ce qui fait dire que la RDA fut purement et simplement annexée par la RFA. La population ne connaissait pas le chômage jusque-là ; en 1994, près de quatre personnes sur cinq avaient été frappées par ce fléau.

Actuellement, le parti de gauche Die Linke réclame l’ouverture d’une enquête sur l’action de la Treuhand ; l’AfD lui a emboîté le pas. L’action de celle-ci fut effectivement catastrophique, mais elle n’a été qu’un instrument au service des capitalistes. Dès 1994, elle avait rempli sa mission : des régions entières transformées en déserts, la quasi-totalité de l’industrie livrée aux capitaux ouest-allemands ou liquidée, 2,5 millions de personnes pointant au chômage. Pour les possédants, l’unification fut la source d’un formidable enrichissement. Et c’est cela aussi qu’ils commémorent le 9 novembre.

On aurait pu imaginer pourtant une politique qui aurait sauvegardé ce qui était plus progressiste en RDA qu’en RFA. Cela n’aurait pu être qu’une politique de classe, visant à imposer par exemple qu’on ne touche pas aux logements, aux pensions de retraite ou au système de santé : des luttes avec ces objectifs auraient peut-être été à la portée de la classe ouvrière.

Il ne s’est pas trouvé d’organisation pour le lui proposer. Trente ans après, la population des deux parties de l’Allemagne le paye encore.

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