Convoitises dans l’Arctique : irresponsabilité capitaliste18/09/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/09/2668.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Convoitises dans l’Arctique : irresponsabilité capitaliste

Le recul des glaces autour du pôle Nord est une des conséquences les plus évidentes du réchauffement climatique, mise en évidence par de multiples reportages et nombre de rapports scientifiques.

Cette région du monde n’appartient à personne, ni à un État ni à une multinationale.

Aucun intérêt particulier ou national n’étant en jeu, aucune fortune constituée ne risquant d’être écornée, les naïfs auraient pu espérer que l’ONU et ses filiales, qui se prétendent les représentants de l’humanité tout entière, agissent pour sauver l’Arctique et, à tout le moins, pour empêcher que l’on aggrave sciemment la situation. On a entendu nombre de discours, mais aucune action concrète n’a été entreprise. En revanche, le capital a rapidement trouvé les moyens de profiter de la fonte des glaces, se ruant sur les lieux devenus accessibles comme il l’a fait partout sur la planète depuis cinq siècles. Et il ne l’a pas fait contre les États et les institutions internationales mais avec leur aide, en contradiction complète avec toutes les déclarations sur la limitation des émissions de CO2, la préservation de la nature, la prévention des catastrophes écologiques, etc.

Ainsi, les compagnies pétrolières et gazières ont commencé à exploiter des gisements situés de plus en plus au nord. Total, par exemple, extrait depuis peu le gaz du sous-sol sibérien à Yamal, au bord de la mer de Kara où désormais la banquise recule en été. Le premier méthanier géant, équipé pour briser la glace, est arrivé au Havre en août 2017. Pour apporter l’énergie nécessaire à ses plates-formes pétrolières et gazières de l’Arctique, la compagnie russe vient en outre de lancer une centrale nucléaire flottante, capable de naviguer entre les glaces.

Les armateurs de leur côté songent à exploiter la route du Nord-Est, reliant l’Asie à l’Europe en passant par les mers gelées. La liaison Shanghai-Hambourg serait raccourcie de cinq jours à condition que la voie soit libre de glaces. Le premier brise-glace chinois a été lancé en juillet, quatre autres sont en construction. La flotte russe, la plus expérimentée dans ce domaine, se renforce également et loue les services de ses brise-glaces à propulsion nucléaire aux cargos qui veulent tenter l’aventure. Pour l’instant le passage ne semble pas rentable, au moins aux yeux du premier armateur mondial, Maerks, qui a fait l’expérience en 2017 avec un porte-conteneurs de dimension moyenne. Cela relativise le prétendu sacrifice de la compagnie française CMA-CGM annonçant à la presse et en compagnie de Macron qu’elle ne passerait pas par là par respect de l’environnement. Qu’en sera-t-il lorsque le passage sera libre ?

De l’autre côté de la banquise, le passage du Nord-Ouest, de l’Atlantique au Pacifique par le nord du Canada, est désormais ouvert quelques semaines en été. Quelques voiliers et un premier paquebot touristique l’ont emprunté, d’autres navires suivront. Ouvert en permanence, par le réchauffement climatique ou les brise-glaces, le passage du Nord-Ouest raccourcirait de 4 000 kilomètres la route New York-Yokohama qui emprunte aujourd’hui le canal de Panama. Cette perspective pousse le Canada à affirmer son droit sur les passages et les États-Unis à le lui contester, y compris par des manœuvres des brise-glaces de l’US Navy.

Les économies faites par les armateurs en ouvrant des routes plus courtes à travers les glaces seraient payées par la destruction de milieux naturels et les risques énormes de catastrophes humaines et écologiques que représente une telle navigation.

La marine de guerre des États-Unis s’intéresse également au recul de la banquise, écrivant dans un rapport de cette année que « la fonte du pergélisol dans l’Arctique menace la stabilité des installations et les bases de Norfolk et Keesler sont régulièrement inondées ». Mais, loin d’en conclure qu’il faut fermer ses bases, ou réduire sa consommation de carburant, égale à celle du Portugal tout entier, ni même changer quoi que soit dans quelque domaine que ce soit, l’US Navy en profite pour demander des crédits supplémentaires.

Dans un genre plus léger, le groupe Ponant, spécialisé dans la croisière de luxe, a lancé un premier paquebot d’exploration polaire. Ce navire, qui serait « pionnier en matière de protection de l’environnement », promène quelques dizaines de nantis parmi les icebergs. Ponant se targue d’un développement exceptionnel, lançant un navire après l’autre, promenant sa pollution chic et sa bonne conscience jusqu’au paradis des glaces. La protection des régions polaires est sans doute chère à l’ex-ministre de l’Écologie Ségolène Royal et à la brochette de ses collègues invités comme elle aux baptêmes des navires du groupe. Mais les intérêts de François Pinault, propriétaire de l’armement Ponant et l’une des premières fortunes françaises, leur sont plus chers encore.

Même devant un danger aussi manifeste que le recul des glaces, le capitalisme garde pour seul ressort la recherche du profit individuel, au risque de multiplier les risques de crise écologique.

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