Algérie : contre le pouvoir, un mouvement populaire toujours déterminé10/07/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/07/2658.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Algérie : contre le pouvoir, un mouvement populaire toujours déterminé

Vingt semaines après son déclenchement, le mouvement populaire a fait une puissante démonstration de force vendredi 5 juillet, jour anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Des foules immenses ont parcouru les principales villes du pays, malgré les très fortes chaleurs et les intimidations du pouvoir.

Les manifestants exigent le départ des « 2 B » : Bédoui, le Premier ministre, et Bensallah, le président par intérim. Ce dernier a proposé qu’un panel de personnalités mette sur pied une instance électorale indépendante pour organiser un scrutin présidentiel. Les manifestants ont massivement rejeté sa proposition : « Pas de dialogue avec la issaba (bande) », « Pas d’élection, bande de mafieux ! » ou encore « Dégagez tous ! »

Cinquante-sept ans après la fin de la guerre contre les colonisateurs français, la population estime que les aspirations à vivre dans un pays libre et sans oppression, qui étaient celles du peuple algérien en 1962, ont été trahies. Depuis le début du mouvement, la population accuse les dignitaires du FLN, parti au pouvoir depuis 1962, les hommes du système et en particulier les généraux, de s’être arrogé les bénéfices d’une indépendance acquise au prix de lourds sacrifices.

Aussi les manifestants ont-ils été nombreux à arborer des portraits de celles et ceux qu’ils considèrent comme les véritables héros de la lutte pour l’indépendance. Sur une banderole on pouvait lire : « 1962 : indépendance confisquée. 2019 : Algérie indépendante. »

Les aspirations démocratiques qui s’expriment depuis le 22 février opposent les masses algériennes à un système politique qui, depuis 1962, repose sur une dictature militaire à peine voilée. Qu’elle ait été dans les coulisses ou sur le devant de la scène, c’est l’armée, véritable colonne vertébrale du régime, qui est à la manœuvre depuis l’indépendance.

Aujourd’hui, le bras de fer met face à face le mouvement populaire et Gaïd Salah, le chef d’état-major, nouvel homme fort du régime, cible principale des manifestants. Si son opération « mains propres », qui a conduit en prison des hauts dignitaires, des grands patrons, des ministres ou des officiers, a pu satisfaire une fraction de l’opinion populaire, elle n’a pas été suffisante pour faire refluer le mouvement. Par contre, ses tentatives de division entre berbérophones et arabophones, ses intimidations avec d’impressionnants dispositifs policiers, ont semble-t-il attisé la colère.

Ces dernières semaines, une trentaine de manifestants ont été arrêtés pour avoir brandi, ou simplement transporté, un drapeau berbère. Ils sont poursuivis pour atteinte à l’unité nationale. La mise en détention à la veille du 5 juillet de Lakhdar Bouregaa, ancien combattant de la guerre d’indépendance, pour atteinte au moral de l’armée, a particulièrement choqué. « Nous voulons un état civil, ni militaire ni policier ! », « Libération de tous les détenus » : ces slogans ont été scandés avec vigueur.

Les initiatives pour tenter de sortir le régime de l’impasse ne manquent pas. Elles sont l’expression de sensibilités politiques diverses. Ainsi une Conférence nationale de dialogue, qui regroupe, autour de l’ex-Premier ministre Ali Benflis, les dirigeants islamistes, Makri du MSP, Djaballah d’El Adala, se dit favorable à la proposition de dialogue de Bensalah. Elle concurrence d’autres initiatives comme celle baptisée Société civile, réunissant des associations, syndicats autonomes et collectifs, ou encore l’Alternative démocratique, constituée autour de partis qui s’affirment progressistes, comme le FFS ou le RCD.

Ces différents regroupements prétendent chacun offrir un débouché politique au mouvement populaire, mais aucun n’a à ce jour suffisamment de crédit pour pouvoir le représenter et parler en son nom. Et s’ils rivalisent entre eux, les solutions qu’ils préconisent auraient toutes pour résultat de préserver la domination de la bourgeoisie algérienne, de l’État et de l’armée sur lesquels elle s’appuie depuis 1962.

« Pour une seconde indépendance », pouvait-on lire sur les pancartes des manifestants.

Afin de ne pas voir leurs espoirs d’émancipation trahis, les travailleurs et les classes populaires doivent cultiver leur défiance vis-à-vis de tous ceux qui prétendent parler en leur nom.

Gaïd Salah prétend répondre aux aspirations du mouvement populaire en mettant derrière les barreaux quelques riches hommes d’affaires et des hommes autrefois au pouvoir.

Ces arrestations ne changeront rien au sort des classes populaires.

Pour changer leurs conditions d’existence, pour empêcher le pillage des richesses du pays, les travailleurs et les classes populaires ne peuvent compter que sur leur propre mobilisation, sur le contrôle qu’ils pourront exercer sur le pouvoir politique et sur l’économie.

Pour vivre libres dans un pays sans oppression, ils devront s’attaquer à ce qui est à la racine de cet ordre social injuste : la domination de la bourgeoisie et de l’impérialisme.

Partager