Algérie : le mouvement populaire face aux manœuvres politiques26/06/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/06/2656.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Algérie : le mouvement populaire face aux manœuvres politiques

En Algérie, le mouvement populaire pour dégager « le système » est entré dans son quatrième mois. Le 18 juin, espérant diviser le mouvement sur des bases régionalistes et identitaires, Gaïd Salah, le chef d’état-major de l’armée, a interdit la présence de drapeaux berbères dans les manifestations. Vendredi 21 juin, dans tout le pays, des cortèges massifs ont répondu avec vigueur à sa provocation, scandant « Arabes et Kabyles sont frères, Gaïd Salah est avec les traîtres ».

La police a procédé à la confiscation de drapeaux berbères accusés de porter atteinte à l’unité de la nation. D’Oran à Sétif en passant par Alger, au moins dix-huit personnes auraient été arrêtées.

Depuis le 22 février, le fait que dans les cortèges le drapeau berbère côtoie sans problème le drapeau national montre en fait l’unité d’un mouvement et le rejet d’un pouvoir qui, depuis 1962, a attisé les divisions régionales et marginalisé les populations berbérophones. Si la manœuvre de Gaïd Salah a pour l’instant échoué, elle montre que l’état-major, et derrière lui les classes dominantes, n’hésiteront pas à utiliser tous les moyens pour tenter de sortir le régime de la crise politique ouverte par la contestation.

L’opération mains propres de Gaïd Salah, censée répondre aux exigences des manifestants qui ont en ligne de mire la « bande de voleurs qui a pillé le pays », n’a pas été suffisante pour arrêter le mouvement. Ces dernières semaines, la prison d’El Harrach à l’est d’Alger est devenue une prison VIP. Elle accueille deux ex-premiers ministres, de riches hommes d’affaires comme l’ex-patron des patrons Ali Haddad, le milliardaire Issad Rebrab ou Mahieddine Tahkout, patron d’une usine de montage automobile Hyundai, proche du président déchu.

Il semble que l’incarcération d’Ouyahia, l’ex-premier ministre, ait été accueillie avec joie par les travailleurs et les classes populaires qui le détestaient. Ils n’ont oublié ni sa politique d’austérité ni son mépris, en particulier celui qu’il exprimait à l’encontre des harragas, ces jeunes qui partent dans des embarcations de fortune dans l’espoir d’une vie meilleure.

Après s’être posé tour à tour en protecteur du mouvement, en arbitre et en justicier, Gaïd Salah use aussi de la force et de l’intimidation vis-à-vis des manifestants. Contraint sous la pression populaire de reporter l’élection présidentielle du 4 juillet, il entend bien mener le jeu et imposer ce qu’il nomme une transition démocratique. Il appelle les personnalités au dialogue pour sortir le pays de la crise politique, c’est-à-dire pour arrêter le mouvement.

Samedi 15 juin, une conférence nationale réunissant des associations, syndicats autonomes, collectifs et personnalités baptisés « société civile » était censée offrir une perspective au Hirak. Elle a abouti à un texte commun pour aller vers une nouvelle république. Cette conférence demande à l’armée de bien vouloir accompagner la période de transition démocratique qu’elle propose. Par ailleurs une alternative démocratique s’est constituée autour de partis dont le FFS, le RCD, le PT, le MDS et le PST. Ils prétendent incarner une transition de rupture avec le système et proposent l’élection d’une assemblée constituante.

Après quatre mois de mobilisation, des têtes sont tombées mais le système est toujours là, en particulier l’appareil militaire qui protège en dernière analyse les intérêts des classes possédantes. Les sommets de l’armée n’ont pas fait jusqu’à présent le choix de recourir à une répression brutale, mais cela n’est pas exclu. La répression féroce qui s’est abattue sur le mouvement populaire soudanais sonne comme un avertissement. Aucun changement durable, aucune rupture avec le système ne pourra s’opérer sans que les masses mobilisées et conscientes agissent pour gagner à elles les soldats du rang.

Quel sera alors le choix de Gaïd Salah ? Tentera-t-il encore de reporter l’élection présidentielle dans l’attente du reflux du mouvement ? Répondra-t-il à l’appel de cette conférence nationale ? Dans un cas comme dans l’autre, le pouvoir politique qui en émanerait permettrait d’assurer la succession de Bouteflika sans rien changer de fondamental pour la bourgeoisie algérienne.

Il n’y a rien à attendre d’un dialogue avec un état-major qui ne cesse de manœuvrer pour faire rentrer dans le rang les travailleurs et les classes populaires et se tient prêt le cas échéant à les écraser. Pour défendre leurs aspirations à vivre dignement et librement, ceux-ci ne devront compter que sur leur conscience, leur mobilisation et leur organisation.

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