La vague de grèves du printemps 191901/05/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/05/2648.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a cent ans

La vague de grèves du printemps 1919

Quelques mois seulement après la fin de la Première Guerre mondiale, des grèves se développèrent dans tout le pays. Craignant pour sa propriété et ses profits, se sentant menacée par la vague révolutionnaire qui s’étendait d’est en ouest, la bourgeoisie avait dû concéder la journée de huit heures à l’approche de la journée de grève et de manifestations du 1er mai. Mais son pouvoir se raffermissant, elle comptait en limiter la portée et faire taire la contestation ouvrière grandissante.

Le nombre de grèves avait commencé à augmenter en 1917 et 1918. En mai 1917, les ouvrières des maisons de couture parisiennes, refusant d’être mises en chômage non payé le samedi après-midi, se mirent en grève pour exiger le maintien intégral de leur salaire. Comme leur grève gagnait les employées de banque, et même les ouvrières des usines d’armement, le gouvernement fit voter la semaine de cinq jours et demi sans baisse de salaire dans le textile.

En mai 1918, la grève partit des usines d’armement Renault, entraînant plus de 100 000 métallurgistes en région parisienne, gagnant les sites de Saint-Étienne et Firminy. Les ouvriers suivaient avec espoir la Révolution russe et voulaient la fin de la guerre. Dans le bassin de la Loire, des femmes tentèrent d’empêcher le départ des rappelés. Se produisant en pleine offensive allemande, durement réprimée par la police et censurée par la presse, la grève s’éteignit rapidement.

L’agitation politique

À la fin de la guerre, le marasme économique provoquant chômage et cherté des prix, les soldats démobilisés ne retrouvaient pas de travail, et les salaires ne permettaient plus de vivre. L’agitation ouvrière se développait, avec la multiplication de grèves pour les salaires, mais aussi l’opposition grandissante à la poursuite de la guerre en Crimée contre la Russie des Soviets. En avril 1919, des mutineries éclatèrent sur les navires de guerre français en mer Noire, devant Odessa et Sébastopol, tandis que les dockers du Havre entraient en lutte contre l’intervention militaire destinée, disaient-ils avec raison, à « assassiner nos camarades russes qui ont fait la révolution ».

Autre signe de cette effervescence politique : la manifestation de protestation contre l’acquittement de Villain, l’assassin de Jaurès. Organisée par l’Union des syndicats et la Fédération socialiste de la Seine, elle réunit, le 6 avril 1919, 300 000 personnes, dans le plus imposant cortège depuis 1914. À l’intérieur de la CGT comme de la SFIO, le Parti socialiste de l’époque, les militants révolutionnaires qui étaient restés fidèles à la lutte de classes et à l’internationalisme ouvrier, alors que leur direction avait fait l’union sacrée avec la bourgeoisie, gagnaient de l’influence.

La multiplication des grèves

C’est dans ce contexte que le gouvernement Clemenceau, soucieux d’éviter à la bourgeoisie française le sort de la bourgeoisie russe, fit voter en mars 1919 la loi sur les conventions collectives et en avril la loi sur les huit heures. Il poussait à l’ouverture de négociations entre les représentants patronaux et les responsables syndicaux pour leur application selon les branches et les régions. Dans le même temps, il réprimait les grèves et interdisait les manifestations du 1er mai, qui s’annonçaient revendicatives.

Le printemps 1919 fut marqué par des grèves longues et déterminées, celle des mineurs lorrains du 3 avril au 26 mai contre les baisses de salaire, celle de la confection au Havre, qui arracha des hausses de salaire en vingt-quatre jours. Bien qu’interdites, les manifestations du 1er mai, exigeant la mise en œuvre des huit heures ainsi que la démobilisation générale et l’amnistie pour les militants emprisonnés, furent un succès. Toutes les usines, les grands magasins, les cafés, les transports furent fermés à Paris. Les brutalités policières firent de nombreux blessés et deux morts, dont un jeune électricien de Saint-Ouen, enterré par des milliers de personnes le 2 mai.

La grève dans la métallurgie

Dans la métallurgie, l’accord signé entre l’organisation patronale et la Fédération des métaux de la CGT, dirigée par des réformistes, prévoyait que les huit heures s’appliqueraient au 1er juin 1919, mais avec une augmentation de la productivité pour compenser la baisse du temps de travail. De plus, il n’y était pas question de hausse des salaires, alors que les métallos, souvent payés aux pièces, revendiquaient une revalorisation du fixe. Le 30 mai, 1 500 ouvriers de Puteaux déclarèrent : « La Fédération a manqué à son devoir en signant un engagement avec les patrons sans avoir consulté auparavant la classe ouvrière ; nous ne tiendrons pas compte de ses engagements. »

Regroupés dans un Comité d’entente, treize syndicats de métallurgistes parisiens comptant 12 000 adhérents refusèrent l’accord et appelèrent à la grève le 1er juin 1919 pour arracher la semaine anglaise, soit 44 heures, et l’augmentation générale des salaires. Le 3 juin, 150 000 métallos étaient en grève. Le 4 juin, dans un meeting à Saint-Denis, 3 000 grévistes votaient pour la transformation du comité intersyndical en comité local des soviets. Pierre Monatte, de la minorité révolutionnaire de la CGT, écrivait : « Où va-t-on ? De mécontentement en mécontentement, de grève en grève, de grève mi-corporative et mi-politique à grève purement politique. On va tout droit à la faillite de la bourgeoisie, c’est-à-dire à la révolution. » En quelques jours, 20 000 travailleurs des transports parisiens rejoignirent les métallos. Des grèves touchèrent même les peintres en bâtiment, les employés du commerce ou de la banque.

La direction réformiste de la CGT ne fit aucun appel pour généraliser la grève. Pire, la Fédération des métaux écarta la proposition de grève nationale de la métallurgie, suivie par les fédérations des cheminots, des mineurs et des marins, qui étaient pourtant des corporations combatives. La grève des métallurgistes resta isolée jusqu’au 28 juin, où le travail reprit sans conditions. Tandis que la résistance patronale était bien organisée, la classe ouvrière manquait d’une direction révolutionnaire expérimentée, seule à même de contrecarrer la politique des réformistes.

C’est précisément ce que l’Internationale communiste, par la voix de Trotsky, demandait aux militants qui, en France, avaient rallié son drapeau : constituer une organisation séparée, avec un drapeau et un programme clair, capable de devenir une direction. Cela ne fut accompli, et bien imparfaitement, qu’en 1921. La vague révolutionnaire était passée.

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