Dans le monde

Soudan : “Le peuple veut la chute du régime !”

Jour et nuit, depuis le 6 avril, des milliers de manifestantes et manifestants se rassemblent sur les places centrales des grandes villes du Soudan. « Le peuple veut la chute du régime », clame la foule.

Dans ce grand pays d’Afrique, la dictature du maréchal Omar al-Bachir, qui s’impose à 40 millions d’habitants depuis 1989, est depuis longtemps insupportable et n’est désormais plus supportée. À la corruption, aux multiples passe-droits accordés à la clique présidentielle, à l’omniprésence des forces de répression, est venue s’ajouter en décembre dernier le triplement du prix du pain, denrée de base. La cherté de la vie a été l’un des moteurs de la colère.

Dans ce pays producteur d’or, la crise économique consécutive à la sécession en 2011 du Soudan du Sud et des régions pétrolifères, a aggravé la pauvreté. L’importation de blé ou de farine est devenue un gouffre financier et les devises, faute de vente de pétrole, sont rares. Auparavant, l’embargo américain avait déjà asséché le flux de dollars. Les meilleures terres sont cédées à des financiers du Golfe et l’agriculture soudanaise y exporte désormais de la luzerne. Depuis quelques années, les manifestations de petits agriculteurs privés de terre suite à leur expropriation sont régulièrement réprimées.

Mais depuis décembre, à partir de rendez-vous transmis par téléphone, les rassemblements dans les villes se succèdent et la répression ne réussit pas à endiguer le mouvement de contestation envers le régime d’Omar al-Bachir. Des dizaines de morts, la répression quotidienne dans les quartiers de la capitale Khartoum, la violence des hommes en armes du NISS, le service de sécurité, les arrestations (plus de mille en quelques jours), la torture envers les détenus, les fusillades ne dissuadent pas les manifestants, jeunes et vieux, dont de nombreuses femmes. L’état d’urgence instauré en février semble même avoir augmenté leur nombre.

Aujourd’hui, les femmes sont « partout, dans la rue, dans les prisons », ainsi que le déclare une médecin, représentante du mouvement. Si elles figurent au premier rang de cette vague réclamant le départ du dictateur, c’est aussi qu’elles sont soumises pour la plupart à la « charia », la loi dite islamique, instaurée en 1983 et pérennisée après le coup d’État d’al-Bachir. Elles peuvent être condamnées à la flagellation – 15 000 d’entre elles l’ont subie rien qu’en 2016 –, voire à la lapidation et à la mort.

Les immenses rassemblements aux cris de « Liberté, paix et justice » se sont rejoints au centre de Khartoum, devant le quartier général de l’armée, à laquelle les manifestants demandent de soutenir la contestation. Si la hiérarchie soutient al-Bachir, et pour cause, la troupe a commencé à choisir le camp des manifestants, y compris en tirant en l’air pour en éloigner les membres de la « sécurité » qui continuent à sévir.

Verra-t-on l’armée soudanaise intervenir pour écarter al-Bachir et mettre en place une solution de transition, comme on a pu le voir en Tunisie et en Égypte lors du Printemps arabe ? C’est sans doute ce qu’espèrent des dirigeants de l’opposition, qui sont souvent d’anciens collègues du dictateur, écartés du pouvoir, mais aussi les puissances impérialistes qui voient avec inquiétude les soulèvements populaires se multiplier au sud de la Méditerranée. Au premier chef viennent l’Union européenne et la France, dont les liens de coopération avec le pouvoir d’al-Bachir ont le visage des banques, de Total, des groupes agroalimentaires, de Vinci, d’Airbus et de Thales.

Les masses populaires auront encore à lutter pour que leurs exigences puissent se frayer un chemin face à de telles manœuvres.

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