Algérie : par millions dans la rue pour dire “Système dégage”20/03/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/03/2642.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Algérie : par millions dans la rue pour dire “Système dégage”

Lundi 11 mars, Bouteflika a annoncé le report des élections, prolongeant son mandat actuel jusqu’à la fin d’une Conférence nationale qui sera chargée de réformer le pays et d’élaborer une nouvelle Constitution. Comme le disait un slogan : on voulait « une élection sans Bouteflika, on se retrouve avec Bouteflika sans élection ».

Cette manœuvre a provoqué un rejet massif et sans appel de la part du peuple algérien. La contestation s’est encore amplifiée, avec la multiplication des grèves et des manifestations dans toutes les catégories de la population, que jusqu’à présent le pouvoir est impuissant à faire cesser.

À Alger, le mardi 12 mars, les collégiens et lycéens refusaient de rentrer en cours et manifestaient dans tous les quartiers au cri de « On n’est pas des naïfs. » La manifestation étudiante, initialement prévue pour protester contre la fermeture des universités, était massive. Elle s’est transformée en une vibrante démonstration de colère, avec comme mots d’ordre : « Système dégage ! », « Non à la prolongation du 4e mandat ! » Toute la journée, les discussions ont animé les rues, les cafétérias : « Il faut qu’ils partent tous. Le mouvement ne doit pas s’arrêter. »

Le lendemain, répondant à l’appel des syndicats enseignants, qui étaient restés jusque-là silencieux et hostiles aux manifestations d’élèves, le personnel des écoles, des collèges et lycées a manifesté à son tour. Dans les jours suivants, des personnels de la santé, des employés de diverses administrations, des employés communaux, avocats, magistrats, architectes, artistes et même retraités de l’armée, notaires, huissiers et commissaires-priseurs, et les imams fonctionnaires de l’État, ont protesté contre le système et le report des élections.

La mobilisation des travailleurs

Dans les chemins de fer, le mouvement de grève a été très suivi, pas seulement sur les lignes de banlieue mais aussi sur les grandes lignes. Dans le métro algérois, un service minimum a été négocié avec les employés, qui ont imposé la gratuité pendant la grève.

Dans nombre d’entreprises, les travailleurs, qui s’étaient mis en grève le 10 mars contre le cinquième mandat, ont poursuivi le mouvement. Dans l’immense zone industrielle de Rouïba à l’est d’Alger, différents cortèges ont réuni des travailleurs de plusieurs secteurs : ceux de la SNVI (production de véhicules industriels), entreprise phare de la zone, mais aussi ceux de Sapta (ponts et travaux d’art), de Divindus (construction aluminium) et d’Hydro Aménagement (travaux publics). Les travailleurs de Maggi ont fait débrayer ceux de Pepsi-cola et de Coca-cola. Même scène dans d’autres zones industrielles, comme celle de Bejaïa à l’est du pays, où toutes les usines étaient à l’arrêt.

Face à la mobilisation des travailleurs, des patrons hostiles au pouvoir ont laissé faire, puis ont invité avec plus ou moins de succès les travailleurs à rentrer chez eux. Mais le lendemain du renoncement de Bouteflika, les choses ont brusquement changé. Ainsi Issad Rebrab, le patron milliardaire du groupe Cevital, en pointe contre le cinquième mandat, a menacé les travailleurs de sanctions s’ils continuaient la grève. Dans chaque entreprise une fraction des travailleurs est cependant revenue devant les usines pour se retrouver et discuter. Là où les travailleurs ont repris le travail, la production n’est pas repartie comme avant. Les discussions se sont poursuivies.

Le 17 mars, malgré les menaces selon lesquelles tout arrêt de travail, tout rassemblement seraient considérés comme une faute professionnelle, les travailleurs du site pétrolier d’Hassi R’mel, dans la wilaya (département) de Laghouat, se sont mis en grève.

Avec la contestation des travailleurs, le secrétaire général du syndicat UGTA, Sidi Saïd, fidèle soutien de Bouteflika, fait face à une contestation dans ses propres rangs. Plusieurs syndicats et unions locales s’en sont désolidarisés, à l’image du syndicat de la zone industrielle de Rouïba ou des unions locales des wilayas d’Annaba et de Tizi Ouzou.

La pression des travailleurs contre le système et la prolongation du 4e mandat a créé un climat favorable à leurs revendications. À Cevital, le patron a augmenté une prime de 5 à 10 %. Dans l’entreprise d’assemblage Hyundaï de Tiaret, au port d’Alger, chez Naftal à Bejaïa, les travailleurs ont arraché des augmentations de salaire. Ailleurs, comme à la Poste, ils sont en lutte contre la précarité et pour la permanisation (la titularisation) de tous les contractuels.

Le 15 mars, une marée populaire

Après cette semaine d’agitation, les manifestations ont atteint une ampleur inégalée. Dans tout le pays, dans toutes les localités, même des villages, la population est descendue par milliers dans la rue exprimer son rejet du système en criant : « Voleurs ! Vous avez mangé le pays ! »

Conscientes que leur nombre serait observé et interprété comme un rejet ou une approbation de la prolongation du 4e mandat, les classes populaires sont descendues en masse. Elles n’ont pas attendu 14 heures et la fin de la prière, et dès 11 h 30 la place de la Grande poste à Alger était noire de monde. C’est très tôt que des cortèges populaires, venus à pied des communes voisines de Zéralda, Staouéli, Aïn Benian, Réghaïa ou de Boufarik, situé à 29 kilomètres, se sont dirigés vers la capitale ! De plus en plus rodés et organisés, les manifestants ont brandi des pancartes fustigeant le pouvoir, mais aussi Macron qui en début de semaine avait salué le report des élections. « C’est le peuple qui choisit, pas la France », « L’Élysée, stop ! On est en 2019, pas en 1830 », ou encore « Macron, occupe-toi de tes gilets jaunes ».

Comme les vendredis précédents, les cortèges de jeunes supporters ont animé de leurs chants politiques et contestataires les rues de la capitale. La veille, par crainte de violences qui auraient pu servir de prétexte à la mise au pas de la contestation par le pouvoir, les jeunes supporters avaient appelé au boycott du derby algérois de football. Le stade du 5-Juillet, qui peut accueillir près de 80 000 personnes, est resté vide.

Avec cette immense mobilisation qui redonne dignité à tout un peuple, la prière et le foot sont passés à l’arrière-plan. L’espoir est revenu, celui d’une société libre et démocratique, l’espoir aussi de voir finir la mal-vie et la misère, qui poussent la jeunesse à quitter le pays dans des embarcations de fortune.

Cette mobilisation a entraîné des couches sociales aux intérêts parfois opposés. Contre le cinquième mandat, le milliardaire Rebrab s’est servi des travailleurs comme d’une force de manœuvre. Sitôt ses intérêts servis, il les a menacés. Des tractations ont lieu en coulisse pour trouver une solution politique préservant l’avenir pour les classes possédantes. Face à ces manœuvres, en cours ou prévisibles, face aux menaces de répression qui peuvent venir de l’armée et de l’appareil d’État, la classe ouvrière devra se donner les moyens de défendre ses propres intérêts.

Partager