Rugby : la mort au bout du terrain02/01/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/01/2631.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Rugby : la mort au bout du terrain

En sept mois, trois jeunes joueurs de rugby sont décédés. En décembre, Nicolas Chauvin, 18 ans, est mort des suites d’une fracture d’une vertèbre cervicale provoquée par un plaquage. En août, Louis Fajfrowski, 21 ans, était décédé d’un arrêt cardiaque, aussi après un plaquage. En mai, Adrien Descrulhes, 17 ans, était mort dans son sommeil après une commotion cérébrale.

Ces drames ne surviennent pas par hasard. Depuis plusieurs années, les commotions cérébrales se multiplient dans le rugby. Des vedettes comme Raphaël Ibañez ou Jean-Pierre Rives et de nombreux anonymes, ont dû s’arrêter après des chocs à répétition, des KO, souvent avec des séquelles définitives (difficultés d’élocution, vision brouillée…). Pendant longtemps, ces chocs ont été minimisés par les clubs, intéressés à pousser leurs joueurs jusqu’au bout de leurs possibilités. Des joueurs victimes d’un KO sont parfois revenus en jeu au cours même du match.

En France comme dans sept autres nations, le rugby est devenu professionnel en 1995. Depuis, l’argent a coulé à flots dans ce sport, au point que les revenus de la Coupe du monde 2015 étaient plus de vingt fois supérieurs à ceux de celle de 1995. Les clubs sont devenus des affaires commerciales, où la recherche du succès prime sur la santé des joueurs. Le poids moyen des joueurs a augmenté en moyenne de 10 à 15 kilos, par de la musculation et des suppléments nutritionnels. Ainsi, un rugbyman de 1,80 m pèse aujourd’hui souvent 90 à 95 kg. Un demi-d’ouverture de 80 ou 90 kg peut être plaqué par un, voire deux défenseurs de 115-120 kg chacun.

Les joueurs jouent parfois 35 à 40 matchs par an. Les blessures, telles que traumatismes de l’épaule, du genou, de la cheville, etc., se sont multipliées. Les règles du jeu ont été modifiées, parfois aux dépens de la santé des joueurs. Par exemple, une équipe peut maintenant faire jusqu’à 12 changements par match, en théorie pour permettre de faire sortir du terrain les joueurs commotionnés ; en réalité, les clubs utilisent cette réserve de sang frais pour imposer aux matchs une dimension encore plus physique. Tous les autres pays où le rugby est professionnel (Grande-Bretagne, Australie, Afrique du Sud, etc.) ont aussi connu des décès ces dernières années.

Si les instances sportives, comme la Fédération française présidée par l’ancien ministre sarkozyste et affairiste Bernard Laporte, parlent maintenant de modifier les règles pour protéger les joueurs, elles ne se sont pas pressées. Il y a un an, le neurochirurgien Jean Chazal avait déjà tiré la sonnette d’alarme, et il avait été écarté du Comité médical de la Fédération. Aux États-Unis, dans le football américain, des évolutions similaires (augmentation de la masse des joueurs, enjeux commerciaux, commotions nombreuses, etc.) se traduisent aujourd’hui par une crise sanitaire de grande ampleur. Les anciens joueurs professionnels ont par exemple trois fois plus de risques que la moyenne des Américains d’être victimes de maladies neurodégénératives.

En règle générale, l’exercice physique et le sport ont, soulignent les médecins, des effets positifs pour la santé. Mais quand il s’agit du sport de haut niveau, c’est souvent l’inverse. Comme dans le cas du rugby, l’esprit de compétition et les enjeux commerciaux peuvent faire d’un jeu de ballon un spectacle mortel.

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