Après novembre 1918, l’impérialisme français continue la guerre19/12/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/12/2629.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 100 ans

Après novembre 1918, l’impérialisme français continue la guerre

Pour beaucoup d’hommes et de femmes de l’époque, l’armistice de novembre 1918 signifiait la fin de la Première Guerre mondiale. Dès le 11 novembre, dans les capitales des pays vainqueurs, des foules en liesse avaient salué la fin du conflit. Mais les puissances impérialistes victorieuses n’avaient pas déposé les armes. La guerre allait continuer encore cinq ans, ajoutant des millions de victimes aux 20 millions de morts de la période 1914-1918.

Les puissances impérialistes victorieuses avaient imposé par la force un nouveau découpage du monde, en dépeçant les Empires vaincus – allemand, austro-hongrois et ottoman. Ce charcutage allait se traduire par les traités de Versailles, de Sèvres, de Neuilly et du Trianon, où se décidait le sort des nations vaincues, sans évidemment que les peuples soient consultés.

Interventions contre-révolutionnaires

C’est d’abord contre les révolutions que les troupes des pays impérialistes intervinrent. Contre la révolution russe de 1917, 14 nations furent enrôlées, en dépêchant près de 300 000 soldats pour soutenir les armées contre-révolutionnaires blanches. L’armée française envoya 12 000 hommes en Ukraine, en Sibérie et dans le nord de la Russie, et sa flotte dans la mer Noire, où elle se mutina en 1919. Le Royaume-Uni en envoya 40 000, exigeant de ses colonies – Canada, Australie – qu’elles fassent de même. Les États-Unis, malgré les belles phrases de Wilson sur le « droit des nations », envoyèrent également des troupes. Quant au Japon, qui voulait s’accaparer la Sibérie et l’Extrême-Orient, son armée resta dans ces régions jusqu’en 1922.

Il y eut d’autres interventions armées, dictées également par le désir d’écraser les tentatives révolutionnaires. Ainsi, la France envoya ses troupes soutenir ses alliés et vassaux roumains et bulgares contre l’armée rouge hongroise en 1919, et contribuer ainsi à l’écrasement de la révolution. En Roumanie, la mission militaire Berthelot soutint jusqu’à l’automne 1919 la guerre du gouvernement roumain, allié de la France, contre les bolcheviks.

L’armée française aida aussi l’armée polonaise à établir un « cordon sanitaire » autour de la Russie révolutionnaire. Le général Weygand, conseiller spécial de l’état-major polonais, installa auprès de lui une mission militaire avec des centaines de cadres, dont un certain capitaine de Gaulle, et contribua grandement à la construction de la nouvelle armée polonaise.

Des territoires occupés

Les troupes françaises stationnèrent aux quatre coins de l’Europe et du Proche-Orient, pour défendre les intérêts des industriels et des banquiers français. En vertu des dispositions du traité de Versailles, le territoire de la Sarre fut séparé de l’Allemagne de 1920 à 1930 et placé sous la tutelle de la France, qui disposa ainsi de la propriété de ses houillères en compensation des destructions de son propre bassin minier pendant la guerre. Les forces occupantes comptèrent 100 000 hommes dans les périodes les plus calmes, mais lors de l’occupation de la Ruhr (Duisburg, Dortmund, Düsseldorf), à partir de 1923, 210 000 soldats français furent envoyés en Allemagne.

À l’autre bout de l’Allemagne, les troupes françaises, avec un bataillon de chasseurs, occupèrent également, jusqu’en 1923, le petit territoire de Memel, à la limite des anciens empires russe et allemand. Elles occupèrent la Haute-Silésie, territoire très industrialisé, convoité à la fois par la Pologne et par l’Allemagne. Les frontières de cette région, découpées en fonction des intérêts des puissants, créèrent de graves tensions. La présence française ne fit que jeter de l’huile sur le feu.

Au Proche-Orient, la France et la Grande-Bretagne voulaient s’emparer des dépouilles de l’Empire ottoman. Longtemps avant la fin de la guerre, en mai 1916, les gouvernements français et britannique avaient signé un accord secret – les accords Sykes-Picot – prévoyant le partage de cette région en plusieurs zones d’influence, ce qui revenait à se partager le territoire de l’Empire ottoman.

Cet accord secret avait été rendu public par le gouvernement soviétique en novembre 1917. Le traité de Sèvres, signé tout de suite avec le traité de Versailles, mais jamais ratifié par la Turquie, formalisa ce dépeçage : le Royaume-Uni s’octroyait l’Irak, la Palestine et la Transjordanie. La France mettait la main sur la Syrie, le Liban et la Cilicie, région située au sud de la Turquie actuelle, à la frontière syrienne. Constantinople et les Détroits passaient sous contrôle conjoint des grandes puissances. La Thrace orientale, c’est-à-dire la partie européenne de la Turquie actuelle, ainsi que Smyrne et son arrière-pays étaient attribués à la Grèce.

Dès le 12 novembre 1918, une brigade française entra à Constantinople (aujourd’hui Istanbul), et peu après 15 000 hommes occupèrent la Cilicie. En mars 1919, les canonnières françaises débarquèrent leurs troupes dans deux ports de la mer Noire. La ville de Bursa, ancienne capitale ottomane et important centre urbain d’Anatolie, fut également occupée par les forces françaises. Mais les nationalistes turcs, menés par Mustafa Kemal, refusèrent ce dépeçage et la présence de troupes étrangères. L’incendie que les puissances impérialistes avaient allumé dans cette région se transforma en une guerre effroyable entre la Turquie et la Grèce. Le traité de Sèvres ne put être appliqué, et les troupes des pays impérialistes durent évacuer la Turquie.

Des tensions grosses d’une nouvelle guerre

De son côté, le Royaume-Uni procéda de la même façon, que ce soit avec la France, ou seul dans ses propres sphères d’influence. En Inde par exemple, les autorités ripostèrent à l’éveil du nationalisme par le massacre d’Amritsar, au Pendjab, tirant sur la foule et faisant 379 morts. En Égypte, l’opposition britannique à la demande d’indépendance du pays entraîna une révolte nationaliste de grande ampleur en mars 1919. La répression, menée par le général Allenby, fit près de mille morts.

Au total, pendant cette période d’après-guerre, l’armée française intervint sur 27 territoires différents, pour mettre en pratique le partage du monde décidé lors des conférences dites de paix. En imposant des frontières aberrantes, des déplacements de population par millions, en créant des conflits y compris dans les rares régions jusque-là relativement paisibles, cette politique préparait de nouvelles tensions encore plus fortes.

Les interventions multiples de l’armée française en ce lendemain de Première Guerre mondiale étaient à la mesure d’un impérialisme avide de profiter de sa victoire militaire. Comme l’affirmait l’Internationale communiste, la « paix » de 1918 n’était que la préparation d’une nouvelle guerre.

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