Novembre-décembre 1938 : le Front populaire contre les travailleurs12/12/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/12/2628.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 80 ans

Novembre-décembre 1938 : le Front populaire contre les travailleurs

Fin novembre 1938 éclatait une vague de grèves en riposte aux décrets-lois pris par le gouvernement du radical Daladier. Ces décrets balayaient ce qui restait encore des acquis de la grève générale de juin 36. Ce fut une défaite, préparée par toute la politique des partis ouvriers.

En juin 1936, seule sa peur de tout perdre avait fait reculer la bourgeoisie, l’incitant à demander au socialiste Léon Blum, président du Conseil élu par la chambre de Front populaire, de satisfaire certaines revendications des organisations syndicales. Mais le patronat ne s’avoue vaincu que lorsqu’il est renversé, et l’attitude des syndicats et des partis de gauche allait lui permettre d’entamer une contre-offensive immédiate.

Le Parti communiste avait sonné le signal de la fin de la grève et des occupations d’usines lorsque Maurice Thorez avait lancé aux militants de son parti et aux travailleurs « il faut savoir terminer une grève ». Léon Blum, de son côté, avait décrété « la pause » des réformes, comme s’il avait été pour quelque chose dans les acquis arrachés par la grève. Le dirigeant de la CGT, Benoît Frachon, déclarait, quant à lui , que « le prolongement de l’action gréviste, la continuation de l’occupation des usines desserviraient les ouvriers. »

Cette politique ne pouvait que désorienter totalement les travailleurs, et permettre à la bourgeoisie de relever la tête. Dès 1937 le patronat put s’en prendre à la principale conquête de juin 36, la loi limitant le temps de travail à 40 heures. La récupération des jours fériés fut d’abord imposée, puis celle des heures de travail perdues par suite de baisse d’activité. Les heures supplémentaires furent ensuite autorisées « dans les secteurs essentiels de la vie économique ». Finalement, les décrets Daladier établissaient que la défense nationale justifiait toutes les dérogations et que des sanctions graves pouvaient être prises contre les ouvriers qui se seraient avisés de refuser de travailler au-delà des 40 heures. En deux ans, les augmentations salariales accordées en 1936 avaient de leur côté été dévorées par l’inflation.

Daladier, comme Blum, fut investi par la chambre de Front populaire. Après Blum, celle-ci avait porté au pouvoir un gouvernement à participation socialiste dirigé par le radical Chautemps, puis en avril 1938 le gouvernement Daladier, sans les socialistes. Pour lui, la contre-offensive antiouvrière allait de pair avec la préparation de la guerre contre l’Allemagne. Il qualifiait la loi des 40 heures de « loi de paresse et de trahison nationale ».

Pendant les deux années précédentes, malgré la politique des directions syndicales, la classe ouvrière était restée combative, ripostant comme elle pouvait, sans direction à l’échelle nationale, à toutes les attaques qui s’abattaient sur elle. Les grèves contre le patronat qui partout s’affranchissait des 40 heures, ou contre la remise en cause de conventions collectives, avaient été nombreuses. Mais à la différence de juin 36, il s’agissait de grèves uniquement défensives. Dans cette ambiance, les décrets-loi de Daladier sonnaient comme un coup de grâce, face auquel les travailleurs relevèrent aussitôt le gant.

Le 22 novembre, un mouvement de grève déferla sur toute la France, parti spontanément des usines métallurgiques du Nord puis gagnant la région parisienne. Le 25 novembre les ouvriers de Renault se heurtèrent à la police en tentant d’occuper l’usine. Cela décida enfin la CGT, qui jusque-là se défendait d’être l’instigatrice des grèves, à appeler à une grève générale le 30 novembre, tout en précisant : « quelles que soient les circonstances et les évènements, le travail devra reprendre le premier décembre ».

Cette attitude timorée de la CGT facilita la tâche de Daladier. Il fit arrêter préventivement des militants, réquisitionna les transports, si bien que le 30 novembre seule une minorité de travailleurs fit grève. La voie était désormais ouverte pour la répression. 40 000 travailleurs furent licenciés dans l’aviation, 80 000 mineurs dans le Nord et le Pas-de-Calais. Chez ­Renault, 32 000 ouvriers furent lockoutés et forcés de venir se faire réembaucher individuellement au bon vouloir de la direction.

Moins d’un an après, la bourgeoisie dissolvait les organisations ouvrières et s’engageait dans la guerre. Les dirigeants du PCF, voire certains socialistes, se revendiquent aujourd’hui de ce qu’ils appellent « les conquêtes du Front populaire », s’appropriant indûment les acquis de la grève générale. Mais le seul résultat à mettre au crédit de ce Front Populaire est le dévoiement d’une des plus grandes grèves que le pays ait connu et l’écrasement de la classe ouvrière qui en résulta. Quant aux travailleurs, novembre 1938 rappelle de manière dramatique que pour la bourgeoisie il n’y a pas de pause. Pour le prolétariat, les victoires ne sont que momentanées et peuvent toujours déboucher sur une défaite si elles ne préparent pas le renversement du système capitaliste.

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