Dans le monde

Yémen : vrais vainqueurs, les capitalistes de l’armement

« Il n’y aura pas de vainqueur dans cette guerre. Donc, il faut arrêter les frais », a osé dire Le Drian, ministre des Affaires extérieures, récemment sur France 2, alors qu’il était interrogé sur la sale guerre menée au Yémen, selon ses propres mots.

Le ministre sait parfaitement de quoi il parle. En tant que ministre de la Défense de Hollande, il avait joué son rôle de VRP de l’industrie de l’armement et accompagné la conclusion de multiples contrats, en particulier avec deux des principaux acteurs locaux de l’écrasement de la population yéménite sous les bombes : l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

Depuis trois ans et demi, cette guerre s’est intensifiée au Yémen, menée par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, en appui au gouvernement en exil du président Mansour Hadi dans sa tentative d’écraser les rebelles chiites houtistes, soutenus eux par l’Iran. Une ONG estime que, depuis mars 2015, 50 000 yéménites ont été tués, sans compter les décès dus à la famine. Près de la moitié de la population, soit 14 millions de femmes, hommes et enfants, en sont à présent menacés. Des images insoutenables ont été diffusées, conduisant les représentants des grandes puissances, États-Unis, Grande-Bretagne et France, à manifester une émotion de façade, après qu’en dix jours, début novembre, 36 raids aériens se sont acharnés sur le port d’Hodeida, en particulier sur un seul quartier périphérique de l’est de la ville. Frapper Hodeida fait partie de la stratégie de la coalition, pour contraindre les houtistes à céder en leur coupant la seule voie d’accès aux hauts plateaux du nord.

Le 11 novembre, les frappes ont été tellement ciblées que des centaines de patients ont même dû fuir l’hôpital, leur perfusion à la main. Le secrétaire général de l’ONU a jugé urgent d’avertir sur les conséquences d’une éventuelle destruction du port, point d’entrée de la majorité des importations du pays. La famine qui sévit déjà en serait inévitablement aggravée. Mais il est possible que cet avertissement, comme ceux émanant de Trump et de Macron, ne vise à rien d’autre qu’à préparer l’ONU à jouer un rôle, une fois que le port d’Hodeida aura été conquis et les rebelles ainsi mis le dos au mur. Une telle « paix » viendrait alors opportunément sanctifier l’œuvre de guerre menée à son terme par l’Arabie saoudite, avec tout le soutien des dirigeants occidentaux.

Les dirigeants occidentaux ont saisi l’occasion de se donner le beau rôle après l’assassinat à Istanbul du journaliste américano-saoudien Khashoggi par les barbouzes de Riyad. Les ONG qui dénonçaient depuis des années un « carnage humanitaire » à Sanaa et dans toute la région ouest du Yémen n’avaient pas obtenu cette audience. Mais ni les uns ni les autres n’ont influé sur la livraison à Riyad ou Abou Dhabi des patrouilleurs maritimes par la CMN (Constructions mécaniques de Normandie), des canons Caesar par Nexter, des corvettes Gowind par NavalGroup, ou des Airbus multirôles. Les bonnes affaires des magnats de l’armement pas plus que la gestion des zones d’influence ne peuvent être perturbées pour si peu.

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