Dans les entreprises

SNCF : accidents mortels et rentabilité

Le même jour, le 10 octobre, trois cheminots sont morts au travail, sur les voies. Les enquêtes sont en cours pour déterminer les circonstances exactes, mais les cheminots savent, dans leur travail quotidien, que sécurité ne rime pas avec rentabilité.

Ce jour-là, près de Tarbes, lors de travaux sur une portion pentue des voies, à 4 h 15, un engin de chantier a heurté un engin de maintenance. Deux ouvriers, de 33 et 55 ans, y ont perdu la vie. Il y a eu trois blessés dont un a été hospitalisé en « urgence absolue ». Ces ouvriers travaillaient pour une entreprise sous-traitante de SNCF Réseau, Engie Ineo Ferroviaire.

Le milieu ferroviaire a toujours été dangereux. Il y a plus d’un siècle, les cheminots étaient surnommés « la chair à tampon », tant ils risquaient leur vie sur les voies.

Les travaux sur celles-ci ne laissent aucune place à l’improvisation. Ils nécessitent un matériel en parfait état, des effectifs à la hauteur et de la part de tous une formation adéquate et la compréhension des règles de sécurité.

Mais ce souci est en contradiction avec la recherche croissante de profit.

Ainsi, pour contourner la réglementation du travail, SNCF Réseau, chargé de l’infrastructure ferroviaire, est en train de généraliser la sous-traitance. Alors que les cheminots de l’équipement assuraient eux-mêmes la majeure partie des travaux de rénovation, la sous-traitance représente déjà plus de 50 % des effectifs et atteindra 55 % en 2020. Le mot d’ordre donné aux agents SNCF est : « Il ne faut plus faire, mais faire faire. » Une des premières conséquences est le nombre d’accidents mortels dans ces entreprises sous-traitantes : cinq en 2017. Les conditions de travail y sont pour beaucoup.

Par exemple, la SNCF a elle-même créé Sféris en 2012, une filiale à 100 %, destinée à servir, d’après son PDG, « de poisson pilote de l’externalisation des travaux ferroviaires ». Alors que les effectifs de SNCF Réseau ont fondu, ceux de Sféris sont passés de 100 à 828 en six ans. Les cheminots de Sféris sont soumis à la convention collective du bâtiment et non à celle de la SNCF. La direction a admis, d’après une enquête de l’hebdomadaire Politis, que certains salariés avaient travaillé 22 heures d’affilée, certains pointant à 76 heures par semaine en toute illégalité. Sur certains chantiers, ils dorment dans des conditions indignes, comme des campings, alors qu’ils travaillent de nuit.

Les salariés morts près de Tarbes travaillaient pour une autre entreprise, mais la logique de l’externalisation est toujours la même : dégrader les conditions de travail en risquant la vie des ouvriers.

À Paris Saint-Lazare, le cheminot tué le même jour comptait, lui, trente années de service. Il était devenu cadre et connu pour son investissement. Il a été retrouvé, écrasé par un train, seul dans une zone particulièrement dangereuse : plusieurs accidents mortels s’y sont déjà produits.

Dans une telle zone, le principe de précaution devrait imposer le déroulement de travaux en dehors de la circulation des trains, entre 1 h 30 et 4 heures. Mais à l’entretien des voies en Île-de-France, un retard considérable a été accumulé pour cause de suppression d’effectifs dans les années 1990 et 2000. Il se traduit aujourd’hui par des travaux tous azimuts, au mépris de la sécurité des travailleurs.

Chaque jour vingt cheminots sont victimes d’accidents de travail et, année après année, ce chiffre progresse. De la même façon, dans tous les secteurs le nombre d’arrêts-maladie explose du fait du stress, des méthodes de management expérimentées à France Télécom et qui conduisent de plus en plus à des suicides ou des dépressions. Quand les cheminots disent, comme lors de la grève au printemps dernier, qu’ils doivent lutter pour « sauver leur peau », ce n’est pas au sens figuré.

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