Macédoine et Grèce : les ravages du nationalisme03/10/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/10/2618.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Macédoine et Grèce : les ravages du nationalisme

Le 30 septembre, les électeurs de Macédoine, une ex-république yougoslave, devaient dire s’ils acceptaient ou non que leur pays change de nom.

Un tel référendum peut sembler étrange. Mais, depuis que la Yougoslavie a éclaté en 1991, les grandes puissances refusent à ce petit pays des Balkans le droit de porter son nom. Elles l’appellent Arym, un mot formé des initiales anglaises pour Ancienne république yougoslave de Macédoine.

L’État grec est à l’origine de la chose, car il se veut l’héritier exclusif du royaume macédonien de l’Antiquité. Membre de l’Union européenne (UE) et de l’OTAN, il met aussi son veto à ce que ce petit pays slave y adhère. Sauf à changer de nom.

D’évidence, il ne représente pourtant aucune menace pour la Grèce, plus peuplée et plus puissante. Et il y a quelque chose d’irréel à ce qu’au nom d’un passé vieux de 2 400 ans la Grèce impose un bras-de-fer diplomatique à ce voisin qui se veut du même camp qu’elle : celui de l’UE et d’un bloc militaire dominé par les États-Unis, l’OTAN. Sauf que cela répond à une logique nationaliste grosse de dangers bien réels.

Depuis vingt-sept ans, les gouvernements grecs successifs ont poussé les feux de l’irrédentisme sur le thème « La Macédoine est grecque », ce qu’on voyait écrit partout. Début 2018, dès qu’il sembla que les pourparlers allaient aboutir entre Athènes et Skopje, la droite grecque fit défiler cent mille personnes à Thessalonique, capitale de la Macédoine grecque, contre un accord « bradant la Macédoine ».

Après sa signature, mi-juin, par les Premiers ministres grec Tsipras et macédonien Zaev, il y eut d’autres manifestations pour s’y opposer à Athènes. En Macédoine du Nord, nouveau nom proposé au référendum, les nationalistes s’employèrent à dénoncer « ceux qui, et de quel droit ? veulent changer notre nom et notre identité ». Car l’accord prévoit aussi que le gouvernement de Skopje expurge la Constitution, les livres scolaires et les cartes de toute référence à la Macédoine antique.

Le 30 septembre, il y a eu 90 % des suffrages favorables à ce changement de nom. Cela a permis aux dirigeants macédoniens de parler d’un « succès pour la démocratie et la Macédoine européenne », à Bruxelles de saluer « une chance historique pour la réconciliation dans la région ». Quant au Département d’État américain, il dit que cela « contribuera à la stabilité, à la sécurité et à la prospérité régionales ». Mais, comme il n’y a eu que 31 % de votants, loin du quorum indispensable pour valider le référendum, le camp adverse crie lui aussi à la victoire.

Nul ne sait ce qui en résultera. Mais on constate que la « question macédonienne », une des plaies qui ensanglantaient les Balkans voici un siècle, n’a pas du tout disparu. À fin de la Deuxième Guerre mondiale, cette immense région a fait l’objet de repartages sous la tutelle des vainqueurs. Il y a eu des découpages dans la chair des peuples, des déplacements forcés de populations qui ont dû changer de nom, de langue officielle, des centaines de villes et bourgades ont été débaptisées…

Durant un demi-siècle, la Yougoslavie a tant bien que mal assuré la coexistence de plusieurs peuples dont l’histoire précédente avait été ensanglantée de massacres intercommunautaires répétés. L’horreur est revenue au galop au début des années 1990, quand les rivalités entre la France, l’Angleterre et l’Allemagne ont poussé à l’éclatement de la Yougoslavie. Ce fut la barbarie des nettoyages ethniques. Il y eut une re-balkanisation de l’est de l’Europe, impulsée par ces grandes puissances. Cela sur fond d’une crise mondiale qui s’aggravait.

On voit ainsi ressurgir avec force, non pas la réconciliation, la stabilité et la prospérité dont se gargarisent les dirigeants européens et américains, mais les préjugés nationalistes et la xénophobie, les divisions entre communautés, tout ce qui fait le jeu des dirigeants et des possédants en affaiblissant les classes laborieuses.

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