Affaire Audin : État assassin19/09/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/09/2616.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Affaire Audin : État assassin

Soixante et un ans après les faits, Macron a reconnu que pendant la guerre d’Algérie, Maurice Audin a été « torturé puis exécuté par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile ».

Maurice Audin était alors jeune enseignant à Alger et militant du Parti communiste algérien. Le 11 juin 1957, une dizaine de militaires français l’arrêtèrent chez lui. Il ne devait jamais réapparaître. Trois semaines plus tard, un rapport officiel de l’armée annonçait qu’il s’était évadé et avait donc disparu. Bien que contredite dès 1958 par l’historien Pierre Vidal-Naquet, et par plusieurs témoignages ensuite, cette fable de l’évasion resta la version officielle de sa mort jusqu’en 2014.

Le temps ayant passé, admettre la vérité présente moins de risque pour les classes possédantes et pour les responsables politiques et militaires de l’époque, dont la plupart ont disparu. Macron peut donc reconnaître aujourd’hui qu’Audin fut victime d’un « système légalement institué ».

Quelle hypocrisie pour désigner sans la nommer la responsabilité de l’État français et de ses chefs dans la mise en place systématique de la torture et des assassinats pour empêcher la population algérienne d’obtenir son indépendance !

Depuis la conquête de l’Algérie en 1830, la France et ses troupes avaient déjà parsemé de massacres l’histoire de cette région pour maintenir leur domination. Durant la guerre d’Algérie, l’armée enferma les populations dans des camps, bombarda au napalm des régions entières et recourut à la torture et aux exécutions sommaires à grande échelle. Elle était couverte et encouragée pour cela par les autorités politiques françaises, depuis Mitterrand, ministre de l’Intérieur en 1954 qui déclarait que « L’Algérie c’est la France » et que « tous les moyens seront réunis pour que la force de la nation l’emporte », jusqu’à de Gaulle.

En juin 1957, au moment de la mort de Maurice Audin, deux socialistes étaient aux commandes : Guy Mollet, Premier ministre, et Lacoste, qu’il avait nommé ministre-résident sur le sol algérien. Après avoir fait campagne en 1956 pour « la paix en Algérie », Guy Mollet et la SFIO – l’ancêtre du Parti socialiste – intensifièrent la guerre une fois au pouvoir.

Quant au Parti communiste, alors qu’un communiste algérien comme Audin subissait la répression, il avait en fait abandonné depuis longtemps le combat contre l’impérialisme français. Loin de militer pour l’indépendance de l’Algérie, il se contentait de demander la paix. En 1956, les yeux rivés sur une possible alliance avec la SFIO de Mollet, ses députés votèrent comme un seul homme les pouvoirs spéciaux au gouvernement, lequel les remit à l’armée en Algérie. Il fallut attendre fin juillet de la même année pour qu’ils s’opposent pour la première fois aux crédits affectés à la guerre.

C’est donc avec le soutien des députés et des plus hauts niveaux de l’État que le général Massu et ses soudards quadrillèrent Alger entre 1956 et 1957, torturant systématiquement, tuant ou faisant disparaître plusieurs milliers de personnes. L’Armée française excella tant dans ce rôle qu’elle put dès 1957 exporter ses conseils et son savoir-faire pour former des tortionnaires en Argentine, au Brésil ou aux États-Unis.

Une fois la guerre perdue, l’État n’oublia pas ses tortionnaires : dès 1962, les accords d’Évian accordant l’indépendance à l’Algérie comportaient une clause d’amnistie pour les crimes commis pendant le conflit. Cette amnistie fournit d’ailleurs un prétexte légal pour empêcher la plainte de Josette Audin, la veuve de Maurice, d’aboutir.

Aujourd’hui, Macron essaie sans doute de solder les comptes d’une guerre lointaine de manière à présenter les méthodes de l’armée d’alors comme appartenant à un passé révolu. Mais cette période montre bien comment l’État, son armée, ses hommes de main ont pu être utilisés pour le pire par des classes possédantes qui voulaient mater une rébellion anticoloniale. Ce n’est pas un passé révolu car les mêmes méthodes peuvent toujours servir en cas de besoin contre les classes populaires.

Partager