La bureaucratie russe écrasait le Printemps de Prague22/08/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/08/2612.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 50 ans

La bureaucratie russe écrasait le Printemps de Prague

Dans la nuit du 20 août 1968, l’armée soviétique envahissait la Tchécoslovaquie. Officiellement, elle apportait « une aide fraternelle au Parti communiste et au peuple tchécoslovaques ». Contre quelle menace ? Celle que le Kremlin voyait dans une démocratisation, même timide, d’un régime-frère.

Pour comprendre comment on en était arrivé là, il faut rappeler la situation de l’Europe au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. Les chefs des puissances victorieuses, l’impérialisme américain et l’URSS, craignaient que se lève une vague de révolutions ouvrières, comme celle qui avait ébranlé le monde à la fin de la précédente guerre mondiale.

Afin de conjurer ce péril, Roosevelt, Staline et Churchill se répartirent l’Europe et la tâche d’y maintenir leur ordre, chacun dans sa zone d’influence. Le Kremlin s’en chargea contre les peuples des pays d’où ses troupes avaient refoulé l’armée d’Hitler.

Cette sainte-alliance ayant atteint son but en Europe, les États-Unis s’employèrent à contrer l’influence de l’URSS dans les pays qu’elle occupait. À ce début de guerre froide, Staline répliqua par des opérations, tel le coup de Prague en février 1948, qui remirent aux partis staliniens locaux tous les leviers de commande.

Les Démocraties populaires étaient nées, mais leur régime n’était ni démocratique ni populaire. Ces États, dans l’instauration desquels la classe ouvrière n’avait joué aucun rôle, assuraient une continuité avec les régimes précédents, bourgeois et souvent dictatoriaux, même si, protégés autant que surveillés par la police politique de Staline, ils se prétendaient désormais socialistes.

Après la mort de Staline en mars 1953, la colère populaire et ouvrière explosa à Berlin-Est et, fin 1956, en Pologne, puis en Hongrie, où l’armée du Kremlin noya dans le sang la révolution ouvrière.

Les dirigeants polonais et hongrois en profitèrent pour évincer ceux qui apparaissaient le plus comme les hommes de Moscou et pour obtenir du grand frère russe qu’il leur laisse les coudées plus franches, en se faisant fort d’assurer ainsi la paix sociale. Mais en Tchécoslovaquie où, hormis la révolte ouvrière de mai 1953 à Plzen, le régime n’eut pas à affronter sa population, les choses semblaient figées. Et quand Gottwald, le Staline tchèque, suivit son modèle dans la tombe, on le remplaça par un de ses fidèles, Novotny.

Ce n’est qu’après un début d’agitation dans la jeunesse estudiantine, en 1967, que les choses commencèrent à bouger dans les sphères du pouvoir à Prague. Rendu responsable du marasme économique, Novotny fut écarté début 1968 au profit de dirigeants se voulant réformateurs.

Leur figure de proue, Alexander Dubcek, se disait partisan d’un « socialisme à visage humain ». En fait, ce bureaucrate blanchi sous le harnais de la dictature voulait, comme ses homologues est-européens, desserrer l’étau du contrôle qu’exerçait Moscou sur le pays et sur son appareil dirigeant.

Il s’appuya donc sur l’aspiration largement répandue à plus de liberté, en faisant valoir au Kremlin que son équipe avait la situation en main, qu’elle garantissait le rôle du parti et qu’elle n’allait pas rompre avec le Pacte de Varsovie, le bloc militaire formé autour de l’URSS.

On avait introduit des doses de marché dans l’économie, puis aboli la censure, des journaux dénonçaient le rôle du parti dit communiste dans les procès staliniens des années 1950 et bientôt des groupes contestaient son droit à diriger la société… Alors que tout le pays était en ébullition, Moscou y organisa des manœuvres militaires durant l’été afin d’intimider la population.

Sommés de réaffirmer leur attachement au « socialisme réel » brejnevien, Dubcek et son équipe plièrent devant la pression. Mais sans convaincre Moscou, ni les dirigeants des autres Démocraties populaires, inquiets que leur propre jeunesse n’imite celle de Prague.

Le 21 août, 6 000 tanks et 200 000 hommes du Pacte de Varsovie occupaient le pays. La direction dubcekienne dénonça l’intervention et appela à ne pas résister. Il y eut des morts, des grèves ici et là, mais la population ne pouvait que serrer les poings et refuser toute aide aux envahisseurs.

Dubcek fut emmené en URSS. Libéré peu après, il resta à la tête du PC le temps de couvrir de son autorité la reprise en main du pays et d’approuver son occupation « temporaire ». Après quoi il fut démis en avril 1969 et remplacé par Gustav Husak, un membre de son équipe : celle qui avait lancé quelques réformes et qui allait les annuler durant la « normalisation ». Une chape de plomb s’abattit pour vingt ans sur la population.

Les puissances occidentales protestèrent, pour la forme. Englués dans leur sale guerre du Vietnam, les États-Unis préféraient laisser le Kremlin ramener l’ordre dans sa zone d’influence. D’autant que les méfaits des bureaucrates russes confortaient les illusions des populations de l’Est sur l’Occident capitaliste et sa prétendue liberté.

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