Cuba, Philippines 1898 : les États-Unis à l’assaut des colonies espagnoles15/08/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/08/2611.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 120 ans

Cuba, Philippines 1898 : les États-Unis à l’assaut des colonies espagnoles

À une époque où les puissances impérialistes européennes étendaient leur influence sur tout le globe, où la France cherchait à faire creuser le canal de Panama, où les rivaux anglais, français et allemands conquéraient des comptoirs commerciaux en Chine, la bourgeoisie américaine voulait sa part du monde à exploiter.

Au cours d’une guerre contre l’Espagne, du 25 avril au 12 août 1898, l’armée et la marine américaines allaient s’imposer dans les Caraïbes et dans l’océan Pacifique.

Les classes dirigeantes américaines avaient depuis longtemps déjà montré leur appétit de conquêtes, assouvi au 19e siècle principalement sur les cadavres des peuples amérindiens et des soldats mexicains. Après avoir conquis un immense pays des rives de l’océan Atlantique à celles du Pacifique, elles regardaient désormais au-delà des mers.

L’État au service de la bourgeoisie expansionniste

Sortie gagnante de la guerre de Sécession en 1865, la grande bourgeoisie obtenait que l’État se mette entièrement à son service et oriente définitivement sa politique en fonction de ses besoins. L’industrie américaine se développait énormément, devenant la deuxième au monde derrière celle de Grande-Bretagne, produisant marchandises et capitaux au-delà de ce que le pays pouvait absorber, bien que la population américaine ait grandi rapidement et ait atteint en 1900 le chiffre de 76 millions.

À une époque qui était déjà celle de la mondialisation capitaliste, 10 % des richesses produites aux États-Unis étaient exportées, une proportion qui croissait chaque année. William McKinley, président en 1898, l’avait résumé ainsi quelques années auparavant : « Nous voulons conquérir des marchés à l’étranger pour absorber nos surplus. » Le déclin de l’Espagne coloniale allait lui en donner l’occasion.

N’ayant pu s’opposer à ce que presque toutes ses colonies d’Amérique centrale et du Sud lui échappent dans la première moitié du 19e siècle, l’Espagne était confrontée depuis 1895 à une insurrection indépendantiste sur l’île de Cuba, qu’elle possédait encore. Même la terrible répression provoquant plus de 100 000 morts ne suffisait pas à dompter le peuple cubain, dont le calvaire attirait la sympathie de la population américaine.

Pour autant, il fallut une intense propagande des autorités de Washington et des journaux aux mains des capitalistes intéressés – ils se souvenaient des fortunes gagnées en fournissant les armées de la guerre de Sécession – ainsi que la mystérieuse explosion du cuirassé américain USS Maine dans la rade de La Havane pour que McKinley puisse entraîner son pays dans la guerre contre l’Espagne le 25 avril 1898.

Une guerre de rapine

Dans le mouvement ouvrier américain en pleine croissance, beaucoup s’opposaient à cette guerre de rapine. Contre la propagande utilisant la mort des marins américains à La Havane, ils soulignaient que les journaux s’étaient tus l’année précédente lorsque la police avait tué 19 mineurs grévistes de Pennsylvanie, en leur tirant dans le dos. Un militant du syndicat des dockers, s’adressant aux travailleurs dans un « appel du mouvement ouvrier pour la paix », écrivait : « Si la guerre éclate, vous fournirez les cadavres et les impôts, quand d’autres s’attireront la gloire et les spéculateurs les profits. »

À l’inverse, Samuel Gompers, dirigeant de la confédération syndicale AFL (American federation of labor) versée dans la collaboration de classe, avait prononcé des phrases pacifistes avant le déclenchement de la guerre. Il se vanta qu’ensuite ses discours sur la guerre « juste et glorieuse » aient entraîné 250 000 syndiqués à s’engager dans l’armée.

Dans ses déclarations officielles, McKinley avait pris soin de ne pas parler d’indépendance à propos de Cuba et de ne pas considérer les rebelles cubains comme des belligérants, de façon à avoir les mains libres pour disposer comme il l’entendait des dépouilles de l’empire colonial de l’Espagne.

À Cuba, les troupes de celle-ci étaient déjà usées par la longue lutte contre les indépendantistes cubains, mais aussi par les fièvres tropicales. La marine américaine dominait les mers et cela permit à l’armée de Washington de débarquer sans problème et de vaincre facilement. Ni les rebelles armés cubains ni même leurs dirigeants ne furent admis par les généraux américains à pénétrer dans la capitale – Santiago à l’époque – pour y recevoir la reddition des Espagnols début juillet 1898.

À l’occupation espagnole succéda alors l’occupation américaine, réprimant les manifestations de Cubains qui voulaient décider de l’avenir de leur pays et les grèves pour la journée de 8 heures.

Les États-Unis mirent plusieurs années à trouver des dirigeants cubains entièrement à leur dévotion et à faire que la population se résigne temporairement à la nouvelle situation. En 1901, ils dictèrent dans la Constitution cubaine l’amendement Platt, par lequel l’impérialisme américain imposait son droit d’intervenir de toutes les façons possibles à Cuba. En quelques années, les chemins de fer cubains, les plantations de canne à sucre et de tabac, les mines furent aux mains des capitalistes américains.

La route de l’Extrême-Orient

Dans la même période, les forces américaines s’emparèrent aussi des Philippines, une autre colonie espagnole riche de multiples ressources et idéalement située pour accéder à la Chine et à son marché.

Une fois les forces espagnoles expulsées avec l’aide des insurgés philippins, les États-Unis se tournèrent contre ceux-ci pour imposer leur domination, mobilisant 70 000 soldats, soit quatre fois le nombre nécessaire pour s’imposer à Cuba. Jusqu’en 1902, la répression fit aux Philippines au moins 200 000 morts. Un capitaine américain écrivit au pays : « Caloocan avait 17 000 habitants. Le 20e régiment du Kansas l’a pris d’assaut et à présent Caloocan n’abrite plus aucun indigène en vie. »

L’impérialisme américain monte en puissance

C’est à des milliers de kilomètres des Caraïbes et du Pacifique oriental, et sans représentant cubain ni philippin, que fut signé le traité de Paris consacrant la défaite de l’Espagne. Les États-Unis dominaient Cuba, lui arrachaient même la base de Guantanamo, encore entre leurs mains aujourd’hui, et prenaient possession de l’île voisine de Porto Rico. L’Amérique centrale devenait leur chasse gardée.

Dans le Pacifique, les Philippines devenaient leur colonie, ainsi que l’île de Guam, et ils lorgnaient sur la Chine. Au passage, ils annexaient Hawaï et Wake, déjà entre leurs mains depuis longtemps. L’expansionnisme américain dans le Pacifique se mesurait désormais à la puissance japonaise émergente.

Cette guerre facilement gagnée contre un ennemi en plein déclin affirmait la puissance militaire américaine, basée sur une industrie et une population en plein croissance. À l’aube du 20e siècle l’impérialisme américain devenait un acteur majeur sur la scène mondiale, avant que de sanglants conflits mondiaux soient pour lui l’occasion de s’arroger la part du lion.

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