Dans le monde

Argentine : le Sénat et l’Église contre les femmes

Le 8 août, le Sénat argentin a rejeté la proposition de loi autorisant le droit à l’avortement jusqu’à 14 semaines, par 38 voix contre 31 et deux abstentions. Il n’a manqué que quatre voix pour en finir avec une situation où chaque année, selon Amnesty, 500 000 Argentines avortent clandestinement et 50 y perdent la vie.

Depuis trente-cinq ans, des féministes ont lutté pour obtenir une loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Mais c’est la première fois qu’une telle loi était soumise au vote du Parlement grâce à une forte mobilisation des femmes, lancée il y a trois ans contre les violences faites aux femmes et qui a débouché sur une « marée verte » de femmes portant un foulard vert pour le droit à l’avortement légal, sécurisé et gratuit.

Cette mobilisation s’est heurtée à celle, réactionnaire, de l’Église catholique, soutenue par une partie de la droite. Complice hier de la dictature militaire, l’Église s’est mobilisée pour ne pas subir dans le pays du pape le même revers qu’en Irlande. Les femmes argentines favorables à l’IVG ne s’y sont pas trompées. Le résultat du vote du Sénat connu, elles lançaient : « Église ordure, vous êtes la dictature ».

Dès que les évêques et une partie de la droite ont réalisé l’ampleur de la mobilisation des femmes débouchant sur le vote favorable des députés, ils ont organisé des contre-manifestations arborant des foulards bleus et relayé les propos du pape François, sa comparaison de l’IVG avec les crimes nazis, par exemple.

Un ponte de l’Église argentine, le cardinal Poli, a menacé les sénateurs favorables à l’IVG. Et, dans les provinces où dominent les courants les plus réactionnaires de l’Église, ou les sectes évangélistes sur la même ligne, les féministes ont évoqué un climat de terreur. Des sénateurs ont dénoncé le harcèlement de l’Église et même « des menaces de mort venant de personnes qui se prétendent pour la vie ».

En 2010, lorsque le gouvernement argentin avait fait voter le mariage pour tous, l’Église s’était mobilisée, mais pas avec une telle violence. Cette année, elle espère aussi faire oublier le scandale mondial des pratiques pédophiles de ses prêtres. Le président Macri a aussi ses arrière-pensées. Ses partisans étant partagés, lui qui est anti-IVG a accepté que le débat ait lieu. Il attendait des mobilisations sur l’IVG qu’elles mettent en sourdine, pour un temps, celles qui se succèdent contre ses plans d’austérité.

L’Argentine ne rejoindra pas cette année les trop rares pays d’Amérique latine qui ont légalisé l’IVG : Cuba, le Guyana, l’Uruguay et la ville de Mexico. On en reste à la loi de 1921 n’autorisant l’avortement qu’en cas de danger pour la santé de la femme enceinte ou en cas de viol. Les femmes des quartiers riches continueront de s’adresser à leur médecin ou avorteront à l’étranger, tandis que les femmes des quartiers pauvres continueront de prendre tous les risques. Grâce à l’Église et à tous les réactionnaires qui la soutiennent, l’honneur du fœtus est sauf, au mépris de la vie des femmes et de leurs droits !

Du moins pour le moment car, pour le mouvement des femmes, c’est partie remise. Elles ne vont pas oublier les noms des parlementaires qui ont rejeté la loi. Et cette lutte va continuer avec d’autant plus de force que ces femmes ont conscience que, dans plusieurs pays voisins, ce combat est aussi à l’ordre du jour.

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