Lafarge et les djihadistes : pour quelques millions de plus04/07/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/07/2605.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Lafarge et les djihadistes : pour quelques millions de plus

Le groupe franco-suisse Lafarge SA a été mis en examen le 28 juin pour “complicité de crimes contre l’humanité”, “financement d’une entreprise terroriste en vue de commettre un crime”, “violation d’un embargo et mise en danger de la vie d’autrui”.

Lafarge est suspecté d’avoir apporté son soutien financier à l’organisation État islamique (EI) afin de pouvoir maintenir son activité alors que la région était passée sous contrôle de ce groupe djihadiste. Suite à une plainte déposée par l’ONG Sherpa et onze employés de la cimenterie, une information judiciaire avait été ouverte en juin 2017, entraînant les mises en examen de huit cadres et dirigeants de l’entreprise. Et le montant des sommes versées à l’EI pour obtenir les laissez-passer des travailleurs de l’usine ou leur acheter des matières premières, notamment du pétrole, est aujourd’hui estimé à 13 millions d’euros. Plus de 5 millions de dollars auraient ainsi été versés à des factions locales dont celle d’Abou Bakr Al Baghdadi, à l’origine des attentats meurtriers commis en France ces dernières années.

Le fait que l’entreprise en tant que personne morale ait été mise en examen a été considéré comme une décision historique des juges. C’est en effet la première fois qu’une entreprise, et non pas seulement ses dirigeants du moment, est poursuivie pour son implication dans des faits considérés par la justice comme des crimes contre l’humanité. Mais cela en dit long sur l’impunité dont bénéficient toutes les autres entreprises qui, comme Lafarge, n’hésitent pas, pour préserver et développer leurs activités et leurs profits, à apporter leur soutien à des dictatures, aussi féroces soient-elles, ou à toutes sortes de bandes armées.

Ainsi Total a obtenu l’exploitation du gisement gazier de Yadana en Birmanie, depuis 1992, pour trente ans. Le groupe pétrolier s’appuie sur la junte militaire au pouvoir qui lui a fourni le travail forcé de dizaines de milliers de Birmans, pour la sécurisation des infrastructures et la construction du gazoduc acheminant le gaz jusqu’à la Thaïlande. Après une plainte déposée en 2002 par des ouvriers birmans pour séquestration et travail forcé, Total a indemnisé huit plaignants et la justice française a conclu en 2006 à un non-lieu. On peut aussi citer l’exemple de la société pétrolière Shell poursuivie elle aussi pour complicité de crimes contre l’humanité pour des tortures commises dans le delta du Niger entre 1992 et 1995. Mais dans ce cas, la Cour suprême des États-Unis est intervenue en 2013 pour mettre fin à la procédure.

Lafarge n’a pas épuisé tous les recours juridiques et on est donc encore loin d’un procès. En attendant, les actionnaires du cimentier continueront d’encaisser leurs dividendes sans être inquiétés. De même que ceux de toutes les autres grandes entreprises qui ont exactement les mêmes pratiques partout dans le monde sans que les tribunaux y voient grand-chose à redire.

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