Nicaragua : la rue ébranle le régime27/06/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/06/2604.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Nicaragua : la rue ébranle le régime

Depuis le 18 avril, des retraités, des étudiants, des mères de famille, des travailleurs du Nicaragua protestent contre le régime du couple présidentiel, Daniel Ortega et Rosario Murillo, qui règne depuis 2007 et réprime durement la contestation : 215 manifestants tués et 1 500 blessés en deux mois.

Il y a trente-neuf ans, Daniel Ortega était un des cadres du Front sandiniste de libération qui renversa la dictature de Somoza, dominant depuis quarante-trois ans un pays qu’il appelait « son ranch ». De 1979 à 1990, les sandinistes apparaissaient comme les héritiers du castrisme et prétendaient développer une économie mixte, où les entreprises d’État pondéreraient les ravages du capitalisme privé.

En 1990, la droite remporta les élections et les sandinistes se retrouvèrent dans l’opposition. Ortega et son clan mirent à profit cette période pour prendre le contrôle de l’appareil sandiniste et préparer son retour au pouvoir, tirant profit de la vague de privatisations et obtenant de la droite une réforme constitutionnelle réduisant à 35 % la majorité nécessaire pour se faire élire président, ce qui lui permit de remporter la présidentielle en 2007, 2011 et 2016.

Ortega dénonce une tentative de coup d’État pour le renverser mais, à la différence du PT au Brésil ou du chavisme au Venezuela, il n’a pas grand-chose à poser dans la balance de son bilan en faveur des classes populaires. Au cours des onze années écoulées, son régime s’est ouvert au capital privé et aux multinationales à qui il a cédé de multiples concessions et pour lesquelles il a mis en place des zones franches défiscalisées. Ce que les sandinistes avaient pu étatiser, la banque et l’extraction minière notamment, a été rendu au capital privé, qui domine la quasi-totalité de l’économie. En conséquence, les conditions d’existence des travailleurs de ce pays, le plus pauvre juste après Haïti, demeurent atroces : salaires de misère et taudis en guise de logements.

C’est une réforme de la Sécurité sociale – une exigence du FMI, qui entendait augmenter le montant des cotisations pour les retraites – qui a provoqué l’explosion de colère. Ortega a remballé sa réforme mais la contestation a été relayée par les étudiants puis par les mères des étudiants tués. Plusieurs villes en opposition se sont couvertes de barrages notamment Masaya, à 27 km de la capitale Managua, où le soulèvement sandiniste de 1979 avait démarré. La répression s’appuie sur des groupes paramilitaires où se retrouvent des policiers, des jeunes du parti d’Ortega et des voyous. Au fil des journées de grève, des manifestations, la répression n’a pas étouffé la contestation.

La politique d’Ortega convenait d’autant mieux aux capitalistes qu’elle se doublait d’une grande sécurité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et le patronat a pris ses distances et fait désormais pression sur le régime. En théorie, Ortega peut présider jusqu’en 2022, mais ses opposants voudraient qu’il parte avant. Ortega n’a pas l’intention de céder. Il conserve du crédit du côté de l’Organisation des États américains, l’OEA, et donc de Washington, même s’il ne peut pas le mettre en avant sans réveiller l’anti-impérialisme de la rue. Et il dispose encore de l’appareil répressif, armée et police, et des grands médias.

Le patronat et l’Église se verraient bien prendre la tête du mécontentement. Mais cela ne résoudrait en aucun cas les difficultés des classes populaires. Celles-ci n’obtiendront rien pour elles-mêmes sans mettre en avant leurs propres exigences, car le patronat et l’Église ne cherchent qu’à changer d’équipe gouvernementale pour que rien ne change.

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