Dans le monde

Italie : crise et manœuvres de l’extrême droite

La crise politique italienne a connu le 27 mai un nouveau rebondissement. Il avait fallu près de trois mois pour que se dessine une alliance entre la Ligue d’extrême droite et le Mouvement 5 étoiles (M5S), qu’elle aboutisse à un projet de gouvernement et finalement s’accorde sur l’homme chargé de le diriger. Avant que tout s’écroule devant le refus de Mattarella, le président de la République, d’accepter la nomination du ministre de l’Économie que les deux partis lui proposaient.

Mattarella, cantonné habituellement aux inaugurations de monuments et autres visites protocolaires, a opposé un énergique veto au nom de l’économiste octogénaire Paolo Savona. Selon le président, ses positions anti­euro étaient de nature à plonger le pays dans la crise, dans un scénario à la grecque. Il a donc prié Salvini et Di Maio, les dirigeants respectifs de la Ligue et du M5S, de lui proposer un autre ministre de l’Économie. Si Di Maio, impatient d’occuper le ministère du Travail qu’il s’était octroyé, était prêt à en discuter, Salvini a choisi d’en faire un motif de rupture et de réclamer la tenue de nouvelles élections. Et Di Maio a bien été obligé de suivre le mouvement.

Mattarella justifie le rejet de Savona au nom de la Constitution, des valeurs de la République, voire de l’antifascisme, et surtout de la sauvegarde des intérêts des petits épargnants, menacés par une hausse des taux d’intérêt. Le Parti démocrate de centre-gauche, laminé aux dernières élections, s’est empressé de le soutenir, faisant de Mattarella son nouveau héros et appelant à une manifestation pour « les institutions antifascistes » qu’il est censé incarner.

Le CV de l’homme qu’a choisi Mattarella pour former un gouvernement technique, avant de nouvelles élections, en dit plus long sur les intérêts que servent tous ces politiciens que les grands discours républicains. Après avoir été l’un des dirigeants des affaires fiscales du Fonds monétaire international, ce Cottarelli fut le Monsieur anti-dépense publique du gouvernement Letta en 2013. Cet homme de la bourgeoisie promet donc d’assurer la continuité de la politique d’austérité et de reculs que la classe ouvrière subit depuis des décennies.

Salvini, lui, a beau jeu de dénoncer le mépris pour les millions d’électeurs qui ont placé son parti et le M5S en tête lors des élections du 4 mars et dont l’expression est piétinée par Mattarella, au nom de la démocratie ! Il a mis en scène son refus d’envisager un autre ministre de l’Économie et a désigné comme ennemie à abattre l’Union européenne, qui aurait téléguidé Mattarella. « L’Italie n’est pas une colonie, elle n’est pas l’esclave de l’Allemagne et de la France », s’est-il exclamé, avant d’appeler à une manifestation « drapeau tricolore en main » le 2 juin, jour anniversaire de la proclamation de la République italienne en 1946.

Salvini, qui n’a pas vraiment cessé d’être en campagne électorale, parie sur une progression encore plus importante de la Ligue dans de nouvelles élections. Elle est probable. La Ligue doit son succès, y compris dans une partie de l’électorat ouvrier, à sa démagogie contre les institutions européennes « qui oppriment les Italiens » et contre les migrants accusés d’envahir le pays et de causer l’insécurité. Elle y a associé des promesses sur le terrain social, notamment celle d’abolir le Jobs Act – la loi travail version italienne – et de revenir sur l’âge de la retraite, bref d’annuler des coups qui ont été portés aux travailleurs par les gouvernements de centre-gauche précédents.

Comme tout bon démagogue, Salvini sait associer des promesses aux classes laborieuses et autres propos radicaux contre les puissants – qui sont bien sûr étrangers – à des clins d’œil destinés aux petits patrons du nord de l’Italie, qui constituent une partie de sa base électorale et auxquels il garantit l’abaissement du taux d’imposition. Le tout est assaisonné d’un assouplissement de la loi sur la légitime défense et de la promesse d’une politique acharnée contre les immigrés.

Quelle que soit l’issue de la crise actuelle, les travailleurs ne pourront retrouver des perspectives qu’avec la conscience qu’ils n’ont là que des ennemis politiques. C’est le cas des Mattarella et consorts, vieux garants de l’ordre bourgeois, tout comme des Salvini et Di Maio, qui aspirent à prendre leur place en s’appuyant sur les idées les plus réactionnaires et les plus dangereuses pour la classe ouvrière.

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