Mars-avril 1968 : la jeunesse étudiante en révolte dans le monde04/04/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/04/2592.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Il y a cinquante ans

Mars-avril 1968 : la jeunesse étudiante en révolte dans le monde

Il y a quelques jours se sont fêtés les cinquante ans de la création du Mouvement du 22 mars, qui marqua à la faculté de Nanterre les débuts du mouvement étudiant qui allait exploser à Paris le 3 mai 1968. Depuis quelques années déjà, la contestation étudiante s’exprimait dans le monde.

À partir des années 1950 le nombre des étudiants n’a cessé d’augmenter. En Allemagne, il avait triplé en dix ans. Les facultés n’étaient guère adaptées. En France, on créa la faculté de Nanterre, entre 1964 et 1966, pour décongestionner la Sorbonne. Les étudiants s’interrogeaient sur leur avenir, mais ils avaient aussi des préoccupations politiques. Depuis 1945, le monde vivait à l’heure de la décolonisation. Le pouvoir, en France, avait mené deux guerres coloniales : la guerre d’Indochine (1946-1954) puis la guerre d’Algérie (1954-1962). Des étudiants étaient touchés par la situation de la population de ce qu’on appelait le tiers-monde.

De Tokyo à Berkeley et à Londres…

Le premier mouvement étudiant de masse apparut au Japon en 1960, contre un traité qui faisait du Japon une tête de pont des États-Unis dans sa politique impérialiste en Asie. À sa tête se trouvait le Zengakuren, où dominait le Parti communiste et où se développèrent des fractions trotskystes. Il pouvait empêcher une hausse des frais scolaires, faire démissionner une administration corrompue et s’opposait à la guerre du Vietnam.

En 1964, le mouvement étudiant américain démarrait à la faculté de Berkeley, proche de San Francisco, sur la revendication de la liberté de parole, alors interdite dans les facultés. Les bureaux de recrutement de l’armée ayant pignon sur rue dans la faculté, les étudiants exigèrent de pouvoir dénoncer la politique menée par les États-Unis au Vietnam.

L’impérialisme américain était au Sud-Vietnam depuis 1954. En 1963 commença l’escalade militaire. Washington prétendait devoir « contenir » la prétendue menace communiste du Nord-Vietnam. Mais il s’avéra assez vite que le plus puissant État capitaliste du monde ne venait pas à bout d’un peuple déterminé à obtenir son indépendance. En janvier 1968, l’offensive du Têt des combattants vietnamiens contre les bases américaines du Sud-Vietnam confirma, même pour les dirigeants américains, qu’ils ne gagneraient pas cette guerre, qui allait encore durer des années.

Aux États-Unis, le mouvement contre la guerre se développa : manifestations ; appelés désertant vers le Canada ; rejet de la conscription en retournant les livrets militaires ou en les brûlant en public, ce qui allait entraîner des années de persécutions du FBI. Dans ce contexte se développa un mouvement étudiant politisé, le SDS (Étudiants pour une société démocratique) où se discutaient la guerre du Vietnam mais aussi l’impérialisme, le marxisme, le stalinisme, le communisme, le mouvement ouvrier...

Le 21 octobre 1967, une grande manifestation se dirigea vers le Pentagone, cœur du système militaire américain. Elle fut violemment réprimée et plus de 900 poursuites engagées contre des étudiants. Le lendemain, 22 octobre, cinq mille étudiants britanniques manifestaient contre la guerre et la répression. Les combats avec la police furent violents devant l’ambassade américaine à Londres.

Rome, Bruxelles, Madrid…

En Italie, les étudiants multiplièrent les occupations de facultés à partir de 1967. L’université de Rome fut occupée en février 1968. La police les ayant évacués, les étudiants s’installèrent dans celle d’architecture. Cela déclencha en mars la « bataille de Valle Giulia » où les étudiants, à leur propre surprise, résistèrent aux charges policières, déclenchant des réactions solidaires dans certaines usines, au point que les directions syndicales appelèrent à une journée de grève générale très suivie. En Belgique, en avril 1968, les étudiants manifestèrent à plusieurs reprises contre la guerre du Vietnam et exigèrent une réforme du système universitaire. Le 22 mai, ils déclarèrent l’Université libre de Bruxelles, occupée, « ouverte à la population ». Même l’Espagne franquiste eut ses facultés occupées de 1966 à 1968. Mieux, le 27 janvier 1967, des dizaines de milliers d’ouvriers manifestèrent contre la répression d’une manifestation à Madrid, où les étudiants s’étaient battus avec la police pendant six heures, provoquant l’arrestation d’étudiants et d’ouvriers. Le 28 janvier 1968 apparut une « police universitaire » qui ne sut étouffer la contestation. En mars, le régime fermait l’université de Madrid.

… et Berlin

C’est en Allemagne que le mouvement étudiant européen fut le plus puissant. Fin 1966, une opposition extraparlementaire apparut pour dénoncer la coalition du SPD avec la CDU. À l’image des Américains, les étudiants formèrent un SDS, dont le principal porte-parole était Rudi Dutschke. Le 2 juin 1967, lors d’une manifestation contre la venue à Berlin du chah, le dictateur d’Iran, un étudiant fut tué d’un coup de feu dans le dos tiré par un policier… ensuite acquitté ! Les assemblées étudiantes se multiplièrent, donnant naissance à une « université critique », où on débattait de tout. Ils dénonçaient la solidarité du gouvernement de Bonn avec Washington dans la guerre du Vietnam. Les 17 et 18 février 1968 se tint à Berlin, à l’appel du SDS, un congrès international contre la guerre du Vietnam et une grande manifestation.

La presse à grand tirage du groupe Springer se déchaîna contre la prétendue « terreur des jeunes rouges ». Le 21 février 1968, Dutschke était déclaré ennemi n°1. Le 11 avril, un jeune, influencé par la presse Springer, tira sur lui, ce qui déclencha des émeutes contre le groupe de presse. Rudi-le-rouge survécut, mais en garda des séquelles graves qui abrégèrent sa vie. Il mourut en 1979, à 39 ans.

Le 3 mai 1968, l’explosion étudiante atteignait la capitale française. Le même jour avaient commencé à Paris les négociations entre les Vietnamiens et les États-Unis, qui allaient durer cinq ans.

Ces mouvements alimentèrent la contestation étudiante dans le monde. Dans quelques pays, en Italie et bientôt en France, la répression révolta la jeunesse ouvrière, qui entra en lutte. Pour tous les participants, ce fut une période intense de mise en question de la société et de prise de conscience, qui conduisit une fraction d’entre eux à s’engager, parfois durablement, dans le combat pour une société juste et égalitaire. C’est pourquoi on en parle encore cinquante ans après.

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